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DE CALVIN ET DE SERVET.

que, la plus implacable de toutes les haines. Calvin eut par trahison les feuilles d’un ouvrage que Servet faisait imprimer secrètement. Il les envoya à Lyon avec les lettres qu’il avait reçues de lui : action qui suffirait pour le déshonorer à jamais dans la société, car ce qu’on appelle l’esprit de la société est plus honnête et plus sévère que tous les synodes. Calvin fit accuser Servet par un émissaire[1] : quel rôle pour un apôtre ! Servet, qui savait qu’en France on brûlait sans miséricorde tout novateur, s’enfuit tandis qu’on lui faisait son procès. Il passe malheureusement par Genève : Calvin le sait, le dénonce, le fait arrêter à l’enseigne de la Rose, lorsqu’il était prêt d’en partir. On le dépouilla de quatre-vingt-dix-sept pièces d’or, d’une chaîne d’or et de six bagues. Il était sans doute contre le droit des gens d’emprisonner un étranger qui n’avait commis aucun délit dans la ville ; mais aussi Genève avait une loi qu’on devrait imiter. Cette loi ordonne que le délateur se mette en prison avec l’accusé. Calvin fit la dénonciation par un de ses disciples, qui lui servait de domestique[2].

Ce même Jean Calvin avait avant ce temps-là prêché la tolérance ; on voit ces propres mots dans une de ses lettres imprimées : « En cas que quelqu’un soit hétérodoxe, et qu’il fasse scrupule de se servir des mots trinité et personne, etc., nous ne croyons pas que ce soit une raison pour rejeter cet homme ; nous devons le supporter, sans le chasser de l’Église, et sans l’exposer à aucune censure comme un hérétique. »

Mais Jean Calvin changea d’avis dès qu’il se livra à la fureur de sa haine théologique : il demandait la tolérance dont il avait besoin pour lui en France, et il s’armait de l’intolérance à Genève. Calvin, après le supplice de Servet, publia un livre dans lequel il prétendit prouver qu’il fallait punir les hérétiques[3].

Quand son ennemi fut aux fers, il lui prodigua les injures et les mauvais traitements que font les lâches quand ils sont maîtres. Enfin, à force de presser les juges, d’employer le crédit de ceux qu’il dirigeait, de crier et de faire crier que Dieu demandait l’exécution de Michel Servet, il le fit brûler vif, et jouit de son supplice, lui qui, s’il eût mis le pied en France, eût été brûlé lui-même ; lui qui avait élevé si fortement sa voix contre les persécutions.

  1. Nicolas de Trie, marchand.
  2. Nicolas de la Fontaine, cuisinier.
  3. Fidelis Expositio errorum Michaelis Serveti et brevis eorumdem Refutatio, ubi docetur jure gladii coercendos esse hœreticos, 1554.