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CHAPITRE CXXXIV.

Cette barbarie d’ailleurs, qui s’autorisait du nom de justice, pouvait être regardée comme une insulte aux droits des nations : un Espagnol qui passait par une ville étrangère était-il justiciable de cette ville pour avoir publié ses sentiments, sans avoir dogmatisé ni dans cette ville ni dans aucun lieu de sa dépendance ?

Ce qui augmente encore l’indignation et la pitié, c’est que Servet, dans ses ouvrages publiés, reconnaît nettement la divinité éternelle de Jésus-Christ ; il déclara dans le cours de son procès qu’il était fortement persuadé que Jésus-Christ était le fils de Dieu, engendré de toute éternité du Père, et conçu par le Saint-Esprit dans le sein de la Vierge Marie. Calvin, pour le perdre, produisit quelques lettres secrètes de cet infortuné, écrites longtemps auparavant à ses amis en termes hasardés.

Cette catastrophe déplorable n’arriva qu’en 1553, dix-huit ans après que Genève eut rendu son arrêt contre la religion romaine ; mais je la place ici pour mieux faire connaître le caractère de Calvin[1], qui devint l’apôtre de Genève et des réformés de France. Il semble aujourd’hui qu’on fasse amende honorable aux cendres de Servet : de savants pasteurs des Églises protestantes, et même les plus grands philosophes, ont embrassé ses sentiments et ceux de Socin. Ils ont encore été plus loin qu’eux : leur religion est l’adoration d’un Dieu par la médiation du Christ. Nous ne faisons ici que rapporter les faits et les opinions, sans entrer dans aucune controverse, sans disputer contre personne, respectant ce que nous devons respecter, et uniquement attaché à la fidélité de l’histoire.

Le dernier trait au portrait de Calvin peut se tirer d’une lettre de sa main, qui se conserve encore au château de la Bastie-Roland, près de Montélimart : elle est adressée au marquis de Poët, grand chambellan du roi de Navarre, et datée du 30 septembre 1561.

« Honneur, gloire et richesses seront la récompense de vos peines ; surtout ne faites faute de défaire le pays de ces zélés faquins qui excitent les peuples à se bander contre nous. Pareils monstres doivent être étouffés, comme j’ai fait de Michel Servet, Espagnol. »

  1. D’après la lettre de Voltaire à Thieriot, du 26 mars 1757, on pourrait croire que Voltaire a traité ici Calvin d’Âme atroce. Ces expressions n’ont jamais existé dans ce chapitre. Je ne les ai trouvées dans aucun des nombreux exemplaires que j’ai vus de l’édition de 1756 ; et, ce qui est plus positif, dans une Réponse faite au nom d’une Société de gens de lettres de Genève, à la lettre du 26 mars, on lit que « les mots d’Âme atroce ne se trouvent point dans ce qu’on a imprimé ici (à Genève) ». Voyez, tome VIII, page 529, les stances intitulées les Torts, année 1757. (B.)