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DE CALVIN ET DE SERVET.

Jean Calvin avait usurpé un tel empire dans la ville de Genève, où il fut d’abord reçu avec tant de difficulté, qu’un jour, ayant su que la femme du capitaine général (qui fut ensuite premier syndic) avait dansé après souper avec sa famille et quelques amis, il la força de paraître en personne devant le consistoire, pour y reconnaître sa faute ; et que Pierre Ameaux, conseiller d’État, accusé d’avoir mal parlé de Calvin, d’avoir dit qu’il était un très-méchant homme, qu’il n’était qu’un Picard, et qu’il prêchait une fausse doctrine, fut condamné (quoiqu’il demandât grâce) à faire amende honorable, en chemise, la tête nue, la torche au poing, par toute la ville.

Les vices des hommes tiennent souvent à des vertus. Cette dureté de Calvin était jointe au plus grand désintéressement : il ne laissa pour tout bien, en mourant, que la valeur de cent vingt écus d’or. Son travail infatigable abrégea ses jours, mais lui donna un nom célèbre et un grand crédit.

Il y a des lettres de Luther qui ne respirent pas un esprit plus pacifique et plus charitable que celles de Calvin. Les catholiques ne peuvent comprendre que les protestants reconnaissent de tels apôtres : les protestants répondent qu’ils n’invoquent point ceux qui ont servi à établir leur réforme, qu’ils ne sont ni luthériens, ni zuingliens, ni calvinistes ; qu’ils croient suivre les dogmes de la primitive Église ; qu’ils ne canonisent point les passions de Luther et de Calvin ; et que la dureté de leur caractère ne doit pas plus décrier leurs opinions dans l’esprit des réformés que les mœurs d’Alexandre VI et de Léon X, et les barbaries des persécutions, ne font tort à la religion romaine dans l’esprit des catholiques.

Cette réponse est sage, et la modération semble aujourd’hui prendre dans les deux partis opposés la place des anciennes fureurs. Si le même esprit sanguinaire avait toujours présidé à la religion, l’Europe serait un vaste cimetière. L’esprit de philosophie a enfin émoussé les glaives. Faut-il qu’on ait éprouvé plus de deux cents ans de frénésie pour arriver à des jours de repos !

Ces secousses, qui par les événements des guerres remirent tant de biens d’église entre les mains des séculiers, n’enrichirent pas les théologiens promoteurs de ces guerres. Ils eurent le sort de ceux qui sonnent la charge et qui ne partagent point les dépouilles. Les pasteurs des églises protestantes avaient si hautement élevé leurs voix contre les richesses du clergé qu’ils s’imposèrent à eux-mêmes la bienséance de ne pas recueillir ce qu’ils condamnaient ; et presque tous les souverains les astreignirent à cette bienséance. Ils voulurent dominer en France, et ils y eurent en