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CHAPITRE CXL.

soulevèrent ; on les soumit, et on les força de recevoir le baptême (1499). Ximénès fit donner à cinquante mille d’entre eux ce signe d’une religion à laquelle ils ne croyaient pas.

Les Juifs, compris dans le traité fait avec les rois de Grenade, n’éprouvèrent pas plus d’indulgence que les Maures. Il y en avait beaucoup en Espagne, Ils étaient ce qu’ils sont partout ailleurs, les courtiers du commerce. Cette profession, loin d’être turbulente, ne peut subsister que par un esprit pacifique. On compte plus de vingt mille Juifs autorisés par le pape en Italie : il y a près de deux cent quatre-vingts synagogues en Pologne. La seule province de Hollande possède environ douze mille Hébreux, quoiqu’elle puisse assurément faire sans eux le commerce. Les Juifs ne paraissaient pas plus dangereux en Espagne, et les taxes qu’on pouvait leur imposer étaient des ressources assurées pour le gouvernement : il est donc bien difficile de pouvoir attribuer à une sage politique la persécution qu’ils essuyèrent.

L’Inquisition procéda contre eux et contre les musulmans. Nous avons déjà observé[1] combien de familles mahométanes et juives aimèrent mieux quitter l’Espagne que de soutenir la rigueur de ce tribunal, et combien Ferdinand et Isabelle perdirent de sujets. C’étaient certainement ceux de leur secte les moins à craindre, puisqu’ils préféraient la fuite à la révolte. Ce qui restait feignit d’être chrétien. Mais le grand inquisiteur Torquemada fit regarder à la reine Isabelle tous ces chrétiens déguisés comme des hommes dont il fallait confisquer les biens et proscrire la vie.

Ce Torquemada, dominicain, devenu cardinal, donna au tribunal de l’Inquisition espagnole cette forme juridique opposée à toutes les lois humaines, laquelle s’est toujours conservée. Il fit en quatorze ans le procès à près de quatre-vingt mille hommes, et en fit brûler six mille avec l’appareil et la pompe des plus augustes fêtes. Tout ce qu’on nous raconte des peuples qui ont sacrifié des hommes à la Divinité n’approche pas de ces exécutions accompagnées de cérémonies religieuses. Les Espagnols n’en conçurent pas d’abord assez d’horreur, parce que c’étaient leurs anciens ennemis et des Juifs qu’on immolait. Mais bientôt eux-mêmes devinrent victimes ; car lorsque les dogmes de Luther éclatèrent, le peu de citoyens qui fut soupçonné de les admettre fut immolé. La forme des procédures devint un moyen infaillible de perdre qui on voulait. On ne confronte point les accusés aux délateurs, et il n’y a point de délateur qui ne soit écouté. Un cri-

  1. Chapitre cii.