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DES DÉCOUVERTES DES PORTUGAIS.

céder aux Espagnols les Canaries, dont il s’était emparé. Les Espagnols firent valoir le droit de Louis de La Cerda, et la bulle de Clément V.

Le cap Boyador avait jeté une telle épouvante dans l’esprit de tous les pilotes que, pendant treize années, aucun n’osa tenter le passage. Enfin la fermeté du prince Henri inspira du courage. On passa le tropique (1446) ; on alla à près de quatre cents lieues par delà jusqu’au Cap-Vert. C’est par ses soins que furent trouvées les îles du Cap-Vert et les Açores (1460). S’il est vrai qu’on vit (1461) sur un rocher des Açores une statue représentant un homme à cheval, tenant la main gauche sur le cou du cheval, et montrant l’Occident de la main droite, on peut croire que ce monument était des anciens Carthaginois : l’inscription, dont on ne put connaître les caractères, semble favorable à cette opinion.

Presque toutes les côtes d’Afrique qu’on avait découvertes étaient sous la dépendance des empereurs de Maroc, qui, du détroit de Gibraltar jusqu’au fleuve du Sénégal, étendaient leur domination et leur secte à travers les déserts ; mais le pays était peu peuplé, et les habitants n’étaient guère au-dessus des brutes. Lorsqu’on eut pénétré au delà du Sénégal, on fut surpris de voir que les hommes étaient entièrement noirs au midi de ce fleuve, tandis qu’ils étaient de couleur cendrée au septentrion. La race des nègres est une espèce d’hommes différente de la nôtre, comme la race des épagneuls l’est des lévriers. La membrane muqueuse, ce réseau que la nature a étendu entre les muscles et la peau, est blanche chez nous, chez eux noire, bronzée ailleurs. Le célèbre Ruysch fut le premier de nos jours qui, en disséquant un nègre à Amsterdam, fut assez adroit pour enlever tout ce réseau muqueux. Le czar Pierre l’acheta, mais Ruysch en conserva une petite partie que j’ai vue[1] et qui ressemblait à de la gaze noire. Si un nègre se fait une brûlure, sa peau devient brune quand le réseau a été offensé ; sinon, la peau renaît noire. La forme de leurs yeux n’est point la nôtre. Leur laine noire ne ressemble point à nos cheveux, et on peut dire que si leur intelligence n’est pas d’une autre espèce que notre entendement, elle est fort inférieure. Ils ne sont pas capables d’une grande attention ; ils combinent peu, et ne paraissent faits ni pour les avantages ni pour les abus de notre philosophie. Ils sont originaires de cette partie de l’Afrique, comme les éléphants et les singes ; guerriers, hardis et cruels dans l’empire de Maroc, souvent même supérieurs aux

  1. Voyez Introduction, paragraphe 11, tome XI, page 5.