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CHAPITRE CXLI.

troupes basanées qu’on appelle blanches ; ils se croient nés en Guinée pour être vendus aux blancs et pour les servir.

Il y a plusieurs espèces de nègres : ceux de Guinée, ceux d’Éthiopie, ceux de Madagascar, ceux des Indes, ne sont pas les mêmes. Les noirs de Guinée, de Congo, ont de la laine ; les autres, de longs crins. Les peuplades noires qui avaient le moins de commerce avec les autres nations ne connaissaient aucun culte. Le premier degré de stupidité est de ne penser qu’au présent et aux besoins du corps. Tel était l’état de plusieurs nations, et surtout des insulaires. Le second degré est de prévoir à demi, de ne former aucune société stable, de regarder les astres avec admiration, et de célébrer quelques fêtes, quelques réjouissances au retour de certaines saisons, à l’apparition de certaines étoiles, sans aller plus loin, et sans avoir aucune notion distincte. C’est entre ces deux degrés d’imbécillité et de raison commencée que plus d’une nation a vécu pendant des siècles.

Les découvertes des Portugais étaient jusqu’alors plus curieuses qu’utiles. Il fallait peupler les îles, et le commerce des côtes occidentales d’Afrique ne produisait pas de grands avantages. On trouva enfin de l’or sur les côtes de Guinée, mais en petite quantité, sous le roi Jean II. C’est de là qu’on donna depuis le nom de guinées aux monnaies que les Anglais firent frapper avec l’or qu’ils trouvèrent dans le même pays.

Les Portugais, qui seuls avaient la gloire de reculer pour nous les bornes de la terre, passèrent l’équateur, et découvrirent le royaume de Congo : alors on aperçut un nouveau ciel et de nouvelles étoiles.

Les Européans virent, pour la première fois, le pôle austral et les quatre étoiles qui en sont les plus voisines. C’était une singularité bien surprenante que le fameux Dante eût parlé plus de cent ans auparavant de ces quatre étoiles. « Je me tournai à main droite, dit-il dans le premier chant de son Purgatoire, et je considérai l’autre pôle : j’y vis quatre étoiles qui n’avaient jamais été connues que dans le premier âge du monde. » Cette prédiction semblait bien plus positive que celle de Sénèque le Tragique, qui dit, dans sa Médée[1] « qu’un jour l’Océan ne séparera plus les nations, qu’un nouveau Typhis découvrira un nouveau monde, et que Thulé ne sera plus la borne de la terre ».

Cette idée vague de Sénèque n’est qu’une espérance probable,

  1. Acte II, scène iii : le texte est rapporté par Voltaire au mot Cyrus, dans le Dictionnaire philosophique.