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CHAPITRE LXXVI.

qu’il n’était retourné en Angleterre que pour y voir une femme dont il était amoureux à l’âge de cinquante-six ans.

La Bretagne, qui avait été la cause de cette guerre, fut abandonnée à son sort : le comte Charles de Blois et le comte de Montfort se disputèrent cette province. Montfort, sorti de la prison de Paris, et Blois, sorti de celle de Londres, décidèrent la querelle près d’Aurai en bataille rangée (1364) : les Anglais prévalurent encore ; le comte de Blois fut tué.

Ces temps de grossièreté, de séditions, de rapines et de meurtres, furent cependant le temps le plus brillant de la chevalerie : elle servait de contre-poids à la férocité générale des mœurs ; nous en traiterons à part ; l’honneur, la générosité, joints à la galanterie, étaient ses principes. Le plus célèbre fait d’armes dans la chevalerie est le combat de trente Bretons[1] contre vingt Anglais, six Bretons et quatre Allemands, quand la comtesse de Blois, au nom de son mari, et la veuve de Montfort, au nom de son fils, se faisaient la guerre en Bretagne (1351). Le point d’honneur fut le sujet de ce combat, car il fut résolu dans une conférence tenue pour la paix. Au lieu de traiter, on se brava ; et Beaumanoir, qui était à la tête des Bretons pour la comtesse de Blois, dit qu’il fallait combattre pour savoir qui avait la plus belle amie. On combattit en champ clos : il n’y eut des soixante combattants que cinq chevaliers de tués, un seul du côté des Bretons, et quatre du côté des Anglais. Tous ces faits d’armes ne servaient à rien, et ne remédiaient pas surtout à l’indiscipline des armées, à une administration presque toute sauvage. Si les Paul-Émile et les Scipion avaient combattu en champ clos pour savoir qui avait la plus belle amie, les Romains n’auraient pas été les vainqueurs et les législateurs des nations.

Édouard, après ses victoires et ses conquêtes, ne fit plus que des tournois. Amoureux d’une femme indigne de sa tendresse, il lui sacrifia ses intérêts et sa gloire, et perdit enfin tout le fruit de ses travaux en France. Il n’était plus occupé que de jeux, de tournois, des cérémonies de son ordre de la Jarretière : la grande Table-Ronde, établie par lui à Windsor, à laquelle se rendaient tous les chevaliers de l’Europe, fut le modèle sur lequel les romanciers imaginèrent toutes les histoires des chevaliers de la Table-Ronde, dont ils attribuèrent l’institution fabuleuse au roi

  1. M. Crapelet a publié le Combat des trente Bretons contre trente Anglais, 1827, in-8o. Cette première édition d’un ouvrage rimé et dont l’auteur vivait au xve siècle a été faite d’après le manuscrit de la Bibliothèque du roi. (B.)