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LA FRANCE SOUS LE ROI JEAN.

jusqu’à quelques lieues de Paris, fut saisi tout à coup d’une si sainte frayeur, à cause d’une grande pluie, qu’il se jeta à genoux, et qu’il fit vœu à la sainte Vierge d’accorder la paix (1360). Rarement la pluie a décidé de la volonté des vainqueurs et du destin des États ; et si Édouard III fit un vœu à la sainte Vierge, ce vœu était assez avantageux pour lui. Il exige, pour la rançon du roi de France, le Poitou, la Saintonge, l’Agénois, le Périgord, le Limousin, le Quercy, l’Angoumois, le Rouergue, et tout ce qu’il a pris autour de Calais ; le tout en souveraineté, sans hommage. Je m’étonne qu’il ne demandât pas la Normandie et l’Anjou, son ancien patrimoine : il voulut encore trois millions d’écus d’or.

(1360) Édouard cédait par ce traité à Jean le titre de roi de France, et ses droits sur la Normandie, la Touraine et l’Anjou. Il est vrai que les anciens domaines du roi d’Angleterre en France étaient beaucoup plus considérables que ce qu’on donnait à Édouard par cette paix ; cependant ce qu’on cédait était un quart de la France. Jean sortit enfin de la Tour de Londres après quatre ans, en donnant en otage son frère et deux de ses fils. Une des plus grandes difficultés était de payer la rançon : il fallait donner comptant six cent mille écus d’or pour le premier payement. La France s’épuisa, et ne put fournir la somme : on fut obligé de rappeler les juifs, et de leur vendre le droit de vivre et de commercer. Le roi même fut réduit à payer ce qu’il achetait pour sa maison en une monnaie de cuir, qui avait au milieu un petit clou d’argent ; sa pauvreté et ses malheurs le privèrent de toute autorité, et le royaume de toute police.

Les soldats licenciés, et les paysans devenus guerriers, s’attroupèrent partout, mais principalement par delà la Loire. Un de leurs chefs se fit nommer l’ami de Dieu, et l’ennemi de tout le monde ; un nommé Jean de Gouge, bourgeois de Sens, se fit reconnaître roi par ces brigands, et fit presque autant de mal par ses ravages que le véritable roi en avait produit par ses malheurs. Enfin ce qui n’est pas moins étrange, c’est que le roi, dans cette désolation générale, alla renouveler dans Avignon, où étaient les papes, les anciens projets des croisades.

Un roi de Chypre était venu solliciter cette entreprise contre les Turcs, répandus déjà dans l’Europe. Apparemment le roi Jean ne songeait qu’à quitter sa patrie ; mais au lieu d’aller faire ce voyage chimérique contre les Turcs, n’ayant pas de quoi payer le reste de sa rançon aux Anglais, il retourna se mettre en otage à Londres, à la place de son frère et de ses enfants ; il y mourut, et sa rançon ne fut pas payée. On disait, pour comble d’humiliation,