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DE COLOMBO, ET DE L’AMÉRIOUE.

dent. Son courage fut égal à la force de son esprit, et d’autant plus grand qu’il eut à combattre les préjugés de tous ses contemporains, et à soutenir les refus de tous les princes. Gênes, sa patrie, qui le traita de visionnaire, perdit la seule occasion de s’agrandir qui pouvait s’offrir pour elle. Henri VII, roi d’Angleterre, plus avide d’argent que capable d’en hasarder dans une si noble entreprise, n’écouta pas le frère de Colombo : lui-même fut refusé en Portugal par Jean II, dont les vues étaient entièrement tournées du côté de l’Afrique. Il ne pouvait s’adresser à la France, où la marine était toujours négligée, et les affaires autant que jamais en confusion sous la minorité de Charles VIII. L’empereur Maximilien n’avait ni ports pour une flotte, ni argent pour l’équiper, ni grandeur de courage pour un tel projet. Venise eût pu s’en charger ; mais, soit que l’aversion des Génois pour les Vénitiens ne permît pas à Colombo de s’adresser à la rivale de sa patrie, soit que Venise ne conçût de grandeur que dans son commerce d’Alexandrie et du Levant, Colombo n’espéra qu’en la cour d’Espagne.

Ferdinand, roi d’Aragon, et Isabelle, reine de Castille, réunissaient par leur mariage toute l’Espagne, si vous en exceptez le royaume de Grenade, que les mahométans conservaient encore, mais que Ferdinand leur enleva bientôt après. L’union d’Isabelle et de Ferdinand prépara la grandeur de l’Espagne ; Colombo la commença ; mais ce ne fut qu’après huit ans de sollicitations que la cour d’Isabelle consentit au bien que le citoyen de Gênes voulait lui faire. Ce qui fait échouer les plus grands projets, c’est presque toujours le défaut d’argent. La cour d’Espagne était pauvre. Il fallut que le prieur Pérez, et deux négociants, nommés Pinzone, avançassent dix-sept mille ducats pour les frais de l’armement. (1492, 23 août) Colombo eut de la cour une patente, et partit enfin du port de Palos en Andalousie avec trois petits vaisseaux, et un vain titre d’amiral.

Des îles Canaries où il mouilla, il ne mit que trente-trois jours pour découvrir la première île de l’Amérique ; et pendant ce court trajet il eut à soutenir plus de murmures de son équipage qu’il n’avait essuyé de refus des princes de l’Europe. Cette île, située environ à mille lieues des Canaries, fut nommée San Salvador. Aussitôt après il découvrit les autres îles Lucayes, Cuba, et Hispaniola, nommée aujourd’hui Saint-Domingue. Ferdinand et Isabelle furent dans une singulière surprise de le voir revenir au bout de sept mois (1493, 15 mars) avec des Américains d’Hispaniola, des raretés du pays, et surtout de l’or qu’il leur présenta.