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DE COLOMBO, ET DE L’AMÉRIQUE.

que les anciens préjugés sont toujours ce qu’il y a de plus fort chez les hommes[1].

Le plus grand exemple de la violation de cette loi et de la fidélité des Espagnols s’est fait voir en 1684. La guerre était déclarée entre la France et l’Espagne. Le roi catholique voulut se saisir des effets des Français. On employa en vain les édits et les monitoires, les recherches et les excommunications ; aucun commissaire espagnol ne trahit son correspondant français. Cette fidélité, si honorable à la nation espagnole, prouva bien que les hommes n’obéissent de bon gré qu’aux lois qu’ils se sont faites pour le bien de la société, et que les lois qui ne sont que la volonté du souverain trouvent toujours tous les cœurs rebelles.

Si la découverte de l’Amérique fit d’abord beaucoup de bien aux Espagnols, elle fit aussi de très-grands maux. L’un a été de dépeupler l’Espagne par le nombre nécessaire de ses colonies ; l’autre, d’infecter l’univers d’une maladie qui n’était connue que dans quelques parties de cet autre monde, et surtout dans l’île Hispaniola. Plusieurs compagnons de Christophe Colombo en revinrent attaqués, et portèrent dans l’Europe cette contagion. Il est certain que ce venin qui empoisonne les sources de la vie était propre de l’Amérique, comme la peste et la petite vérole sont des maladies originaires de l’Arabie méridionale. Il ne faut pas croire même que la chair humaine, dont quelques sauvages américains se nourrissaient, ait été la source de cette corruption. Il n’y avait point d’anthropophages dans l’île Hispaniola, où ce mal était invétéré. Il n’est pas non plus la suite de l’excès dans les plaisirs : ces excès n’avaient jamais été punis ainsi par la nature dans l’ancien monde ; et aujourd’hui, après un moment passé et oublié depuis des années, la plus chaste union peut être suivie du plus cruel et du plus honteux des fléaux dont le genre humain soit affligé.

Pour voir maintenant comment cette moitié du globe devint la proie des princes chrétiens, il faut suivre d’abord les Espagnols dans leurs découvertes et dans leurs conquêtes.

Le grand Colombo, après avoir bâti quelques habitations dans les îles, et reconnu le continent, avait repassé en Espagne, où il jouissait d’une gloire qui n’était point souillée de rapines et de cruautés ; il mourut en 1506 à Valladolid. Mais les gouverneurs de Cuba, d’Hispaniola, qui lui succédèrent, persuadés que ces

  1. Voltaire devait être fort au courant du commerce de Cadix, puisqu’une partie de sa fortune s’y trouvait engagée. (G. A.)