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CHAPITRE CLI.

Espagnols appelaient cette ville Eldorado ; ils la cherchèrent longtemps.

Ce nom d’Eldorado éveilla toutes les puissances. La reine Élisabeth envoya en 1596 une flotte sous le commandement du savant et malheureux Raleigh, pour disputer aux Espagnols ces nouvelles dépouilles. Raleigh, en effet, pénétra dans le pays habité par des peuples rouges. Il prétend qu’il y a une nation dont les épaules sont aussi hautes que la tête. Il ne doute point qu’il n’y ait des mines : il rapporta une centaine de grandes plaques d’or et quelques morceaux d’or ouvragés ; mais enfin on ne trouva ni de ville Dorado, ni de lac Parima. Les Français, après plusieurs tentatives, s’établirent en 1664 à la pointe de cette grande terre dans l’île de Cayenne, qui n’a qu’environ quinze lieues communes de tour. C’est là ce qu’on nomma la France équinoxiale. Cette France se réduisit à un bourg composé d’environ cent cinquante maisons de terre et de bois ; et l’île de Cayenne n’a valu quelque chose que sous Louis XIV, qui, le premier des rois de France, encouragea véritablement le commerce maritime ; encore cette île fut-elle enlevée aux Français par les Hollandais dans la guerre de 1672 ; mais une flotte de Louis XIV la reprit. Elle fournit aujourd’hui un peu d’indigo, de mauvais café, et on commence à y cultiver les épiceries avec succès. La Guiana était, dit-on, le plus beau pays de l’Amérique où les Français pussent s’établir, et c’est celui qu’ils négligèrent.

On leur parla de la Floride, entre l’ancien et le nouveau Mexique. Les Espagnols étaient déjà en possession d’une partie de la Floride, à laquelle même ils avaient donné ce nom ; mais comme un armateur français prétendait y avoir abordé à peu près dans le même temps qu’eux, c’était un droit à disputer : les terres des Américains devant appartenir, par notre droit des gens ou de ravisseurs, non-seulement à celui qui les envahissait le premier, mais à celui qui disait le premier les avoir vues.

L’amiral Coligny y avait envoyé, sous Charles IX, vers l’an 1564, une colonie huguenote, voulant toujours établir sa religion en Amérique comme les Espagnols y avaient porté la leur. Les Espagnols ruinèrent cet établissement (1565), et pendirent aux arbres tous les Français, avec un grand écriteau au dos : « Pendus, non comme Français, mais comme hérétiques. »

Quelque temps après, un Gascon, nommé le chevalier de Gourgues, se mit à la tête de quelques corsaires pour essayer de reprendre la Floride. Il s’empara d’un petit fort espagnol, et fit pendre à son tour les prisonniers, sans oublier de leur mettre un