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DES ÎLES FRANÇAISES, ET DES FLIBUSTIERS.

Cet Olonais et un autre, nommé le Basque, vont jusqu’au fond du petit golfe de Venezuela (1667), dans celui de Honduras, avec cinq cents hommes ; ils mettent à feu et à sang deux villes considérables ; ils reviennent chargés de butin ; ils montent les vaisseaux que les canots ont pris. Les voilà bientôt une puissance maritime, et sur le point d’être de grands conquérants.

Morgan, Anglais, qui a laissé un nom fameux, se mit à la tête de mille flibustiers, les uns de sa nation, les autres Normands, Bretons, Saintongeois, Basques : il entreprend de s’emparer de Porto-Bello, l’entrepôt des richesses espagnoles, ville très-forte, munie de canons et d’une garnison considérable. Il arrive sans artillerie, monte à l’escalade de la citadelle sous le feu du canon ennemi, et, malgré une résistance opiniâtre, il prend la forteresse : cette témérité heureuse oblige la ville à se racheter pour environ un million de piastres. Quelque temps après (1670) il ose s’enfoncer dans l’isthme de Panama, au milieu des troupes espagnoles ; il pénètre à l’ancienne ville de Panama, enlève tous les trésors, réduit la ville en cendres, et revient à la Jamaïque victorieux et enrichi. C’était le fils d’un paysan d’Angleterre : il eût pu se faire un royaume dans l’Amérique ; mais enfin il mourut en prison à Londres.

Les flibustiers français, dont le repaire était tantôt dans les rochers de Saint-Domingue, tantôt à la Tortue, arment dix bateaux, et vont, au nombre d’environ douze cents hommes, attaquer la Vera-Cruz (1683) : cela est aussi téméraire que si douze cents Biscayens venaient assiéger Bordeaux avec dix barques. Ils prennent la Vera-Cruz d’assaut ; ils en rapportent cinq millions, et font quinze cents esclaves. Enfin, après plusieurs succès de cette espèce, les flibustiers anglais et français se déterminent à entrer dans la mer du Sud, et à piller le Pérou. Aucun Français n’avait vu encore cette mer : pour y entrer, il fallait ou traverser les montagnes de l’isthme de Panama, ou entreprendre de côtoyer par mer toute l’Amérique méridionale, et passer le détroit de Magellan qu’ils ne connaissaient pas. Il se divisent en deux troupes (1687), et prennent à la fois ces deux routes.

Ceux qui franchissent l’isthme renversent et pillent tout ce qui est sur leur passage, arrivent à la mer du Sud, s’emparent dans les ports de quelques barques qu’ils y trouvent, et attendent avec ces petits vaisseaux ceux de leurs camarades qui ont dû passer le détroit de Magellan. Ceux-ci, qui étaient presque tous Français, essuyèrent des aventures aussi romanesques que leur entreprise : ils ne purent passer au Pérou par le détroit, ils furent repoussés