ne connaissaient pas. Nous allons acheter ces nègres à la côte de Guinée, à la côte d’Or, à celle d’Ivoire. Il y a trente ans qu’on avait un beau nègre pour cinquante livres : c’est à peu près cinq fois moins qu’un bœuf gras. Cette marchandise humaine coûte aujourd’hui, en 1772, environ quinze cents livres. Nous leur disons qu’ils sont hommes comme nous, qu’ils sont rachetés du sang d’un Dieu mort pour eux, et ensuite on les fait travailler comme des bêtes de somme : on les nourrit plus mal ; s’ils veulent s’enfuir, on leur coupe une jambe, et on leur fait tourner à bras l’arbre des moulins à sucre, lorsqu’on leur a donné une jambe de bois. Après cela nous osons parler du droit des gens ! La petite île de la Martinique, la Guadeloupe, que les Français cultivèrent en 1735, fournirent les mêmes denrées que Saint-Domingue. Ce sont des points sur la carte, et des événements qui se perdent dans l’histoire de l’univers ; mais enfin ces pays, qu’on peut à peine apercevoir dans une mappemonde, produisirent en France une circulation annuelle d’environ soixante millions de marchandises. Ce commerce n’enrichit point un pays ; bien au contraire, il fait périr des hommes, il cause des naufrages ; il n’est pas sans doute un vrai bien ; mais les hommes s’étant fait des nécessités nouvelles, il empêche que la France n’achète chèrement de l’étranger un superflu devenu nécessaire.
CHAPITRE CLIII.
Les Anglais étant nécessairement plus adonnés que les Français à la marine, puisqu’ils habitent une île, ont eu dans l’Amérique septentrionale de bien meilleurs établissements que les Français. Ils possèdent six cents lieues communes de côtes, depuis la Caroline jusqu’à cette baie d’Hudson, par laquelle on a cru en vain trouver un passage qui pût conduire jusqu’aux mers du Sud et du Japon. Leurs colonies n’approchent pas des riches contrées de l’Amérique espagnole. Les terres de l’Amérique anglaise ne produisent, du moins jusqu’à présent, ni argent, ni or, ni indigo, ni cochenille, ni pierres précieuses, ni bois de teinture ; cependant