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CHARLES V, ET DES ANGLAIS.

père et de son grand-père, qui possédait la Guienne et les lieux circonvoisins en souveraineté absolue par le droit de conquête et par un traité solennel. Non-seulement on le cite comme un sujet, (1370) mais on fait rendre un arrêt du parlement de Paris, par lequel on confisque la Guienne et tout ce qui appartient en France à la maison d’Angleterre. L’usage était de déclarer la guerre par un héraut d’armes, et on envoie à Londres un valet de pied faire cette cérémonie. Édouard n’était donc plus à craindre.

La valeur et l’habileté de Bertrand du Guesclin, devenu connétable de France, et surtout le bon ordre que Charles V avait mis à tout, ennoblirent l’irrégularité de ces procédés, et firent voir que dans les affaires publiques, où est le profit, là est la gloire, comme disait Louis XI.

Le Prince Noir mourant ne pouvait plus paraître en campagne. Son père ne put lui envoyer que de faibles secours. Les Anglais, auparavant victorieux dans tous les combats, furent battus partout. Bertrand du Guesclin, sans remporter de ces victoires telles que celles de Crécy et de Poitiers, fit une campagne entièrement semblable à celle qui, dans les derniers temps, a fait passer le vicomte de Turenne pour le plus grand général de l’Europe. (1370) Il tomba dans le Maine et dans l’Anjou sur les quartiers des troupes anglaises, les défit toutes les unes après les autres, et prit de sa main leur général Grandson. Il rangea le Poitou, la Saintonge, sous l’obéissance de la France. Les villes se rendaient, les unes par la force, les autres par l’intrigue. Les saisons combattaient encore pour Charles V. Une flotte formidable, équipée en Angleterre, fut toujours repoussée par les vents contraires. Des trêves adroitement ménagées préparèrent encore de nouveaux succès.

(1378) Charles, qui vingt ans auparavant n’avait pas eu de quoi entretenir une garde pour sa personne, eut à la fois cinq armées et une flotte. Ses vaisseaux portèrent la guerre jusqu’en Angleterre, dont on ravagea les côtes, tandis qu’après la mort d’Édouard III l’Angleterre ne prenait aucunes mesures pour se venger. Il ne restait aux Anglais que la ville de Bordeaux, celle de Calais, et quelques forteresses.

(1380) Ce fut alors que la France perdit Bertrand du Guesclin. On sait quels honneurs son roi rendit à sa mémoire. Il fut, je crois, le premier dont on fit l’oraison funèbre, et le premier qu’on enterra dans l’église destinée aux tombeaux des rois de France. Son corps fut porté avec les mêmes cérémonies que ceux des sou-