Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome12.djvu/48

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
38
CHAPITRE LXXIX.

çais, alors fort grossiers, pensaient que les Italiens en savaient plus qu’eux.

Le soupçon redoubla quelque temps après dans une aventure digne de la rusticité de ce temps. On fit à la cour une mascarade dans laquelle le roi, déguisé en satyre, traînait quatre autres satyres enchaînés. Ils étaient vêtus d’une toile enduite de poix-résine, à laquelle on avait attaché des étoupes. (1394) Le duc d’Orléans eut le malheur d’approcher un flambeau d’un de ces habits, qui en furent enflammés en un moment. Les quatre seigneurs furent brûlés, et à peine put-on sauver la vie au roi par la présence d’esprit de sa tante la duchesse de Berry, qui l’enveloppa dans son manteau. Cet accident hâta une de ses rechutes (1393). On eût pu le guérir peut-être par des saignées, par des bains, et par du régime ; mais on fit venir un magicien de Montpellier. Le magicien vint[1]. Le roi avait quelques relâches, qu’on ne manqua pas d’attribuer au pouvoir de la magie. Les fréquentes rechutes fortiflèrent bientôt le mal, qui devint incurable. Pour comble de malheur, le roi reprenait quelquefois sa raison. S’il eût été malade sans retour, on aurait pu pourvoir au gouvernement du royaume. Le peu de raison qui resta au roi fut plus fatal que ses accès. On n’assembla point les états, on ne régla rien ; le roi restait roi, et confiait son autorité méprisée et sa tutelle tantôt à son frère, tantôt à ses oncles le duc de Bourgogne et le duc de Berry. C’était un surcroît d’infortune pour l’État que ces princes eussent de puissants apanages. Paris devint nécessairement le théâtre d’une guerre civile, tantôt sourde, tantôt déclarée. Tout était faction ; tout, jusqu’à l’université, se mêlait du gouvernement.

(1407) Personne n’ignore que Jean, duc de Bourgogne, fit assassiner son cousin le duc d’Orléans, frère du roi, dans la rue Barbette. Le roi n’était ni assez maître de son esprit ni assez puissant pour faire justice du coupable. Le duc de Bourgogne daigna cependant prendre des lettres d’abolition. Ensuite il vint à la cour faire trophée de son crime. Il assembla tout ce qu’il y avait de princes et de grands, et en leur présence le docteur Jean Petit non-seulement justifia la mort du duc d’Orléans (l408) ; mais il établit la doctrine de l’homicide, qu’il fonda sur l’exemple de

  1. Après ce magicien, on vit des moines Augustins, des confréries de sorciers, se présenter pour guérir le roi. Plusieurs de ces misérables furent condamnés au feu, ce qui était absurde et cruel : car en admettant les principes de la superstition de ces temps-là, puisque ces pauvres gens manquaient leur coup, il était bien clair qu’ils pouvaient être des fripons ou des fous, mais qu’à coup sûr ils n’étaient pas des magiciens. (K.)