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CHAPITRE LXXIX.

à cheval. Il arriva dans cette journée une chose qui est horrible, même dans la guerre. Tandis qu’on se battait encore, quelques milices de Picardie vinrent par derrière piller le camp des Anglais. Henri ordonna qu’on tuât tous les prisonniers qu’on avait faits. On les passa au fil de l’épée ; et après ce carnage on en prit encore quatorze mille, à qui on laissa la vie. Sept princes de France périrent dans cette journée avec le connétable. Cinq princes furent pris ; plus de dix mille Français restèrent sur le champ de bataille.

Il semble qu’après une victoire si entière il n’y avait plus qu’à marcher à Paris, et à subjuguer un royaume divisé, épuisé, qui n’était qu’une vaste ruine. Mais ces ruines mêmes étaient un peu fortifiées. Enfin il est constant que cette bataille d’Azincourt, qui mit la France en deuil, et qui ne coûta pas trois hommes de marque aux Anglais, ne produisit aux victorieux que de la gloire. Henri V fut obligé de repasser en Angleterre pour amasser de l’argent et de nouvelles troupes.

(1415) L’esprit de vertige, qui troublait les Français au moins autant que le roi, fit ce que la défaite d’Azincourt n’avait pu faire. Deux dauphins étaient morts ; le troisième, qui fut depuis le roi Charles VII, âgé alors de seize ans, tâchait déjà de ramasser les débris de ce grand naufrage. La reine, sa mère, avait arraché de son mari des lettres-patentes qui lui laissaient les rênes du royaume. Elle avait à la fois la passion de s’enrichir, de gouverner, et d’avoir des amants. Ce qu’elle avait pris à l’État et à son mari était en dépôt en plusieurs endroits, et surtout dans les églises. Le dauphin et les Armagnacs, qui déterrèrent ces trésors, s’en servirent dans le pressant besoin où l’on était. À cet affront qu’elle reçut de son fils, le roi, alors gouverné par le parti du dauphin, enjoignit un plus cruel. Un soir, en rentrant chez la reine, il trouva le seigneur de Boisbourdon qui en revenait ; il le fait prendre sur-le-champ. On lui donne la question, et, cousu dans un sac, on le jette dans la Seine. On envoie incontinent la reine prisonnière à Blois, de là à Tours, sans qu’elle puisse voir son mari. Ce fut cet accident, et non la bataille d’Azincourt, qui mit la couronne de France sur la tête du roi d’Angleterre. La reine implore le secours du duc de Bourgogne. Ce prince saisit cette occasion d’établir son autorité sur de nouveaux désastres.

(1418) Il enlève la reine à Tours, ravage tout sur son passage, et conclut enfin sa ligue avec le roi d’Angleterre. Sans cette ligue il n’y eût point eu de révolution. Henri V assemble enfin vingt--