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DE LA FRANCE SOUS HENRI III.

d’une autre manière, en engageant les revenus de la couronne, en créant de nouvelles charges. Les hostilités se renouvellent de tous côtés, et la paix se fait encore. Le roi n’avait voulu avoir de l’argent et une armée que pour être en état de ne plus craindre les Guises ; mais, dès que la paix est faite, il consomme ces faibles ressources en vains plaisirs, en fêtes, en profusions pour ses favoris.

Il était difficile de gouverner un tel royaume autrement qu’avec du fer et de l’or. Henri III pouvait à peine avoir l’un et l’autre. Il faut voir quelles peines il eut à obtenir dans ses pressants besoins treize cent mille francs du clergé pour six années, à faire vérifier au parlement quelques nouveaux édits bursaux, et avec quelle rapacité le marquis d’O, surintendant des finances, dévorait cette subsistance passagère.

Il ne régnait pas. La Ligue catholique et les confédérés protestants se faisaient la guerre malgré lui dans les provinces. Les maladies contagieuses, la famine, se joignaient à tant de fléaux, et c’est dans ces temps de calamités que, pour opposer des favoris au duc de Guise, ayant créé ducs et pairs Joyeuse et d’Épernon, et leur ayant donné la préséance sur leurs anciens pairs, il dépense quatre millions aux noces du duc de Joyeuse, en le mariant à la sœur de la reine sa femme, et en le faisant son beau-frère. De nouveaux impôts pour payer ses prodigalités excitent l’indignation publique. Si le duc de Guise n’avait pas fait une ligue contre lui, la conduite du roi suffisait pour en produire une.

C’est dans ce temps que le duc d’Anjou, son frère, va dans les Pays-Bas chercher, au milieu d’une désolation non moins funeste, une principauté qu’il perdit par une tyrannique imprudence. Comme Henri III permettait à son frère d’aller ravir les provinces des Pays-Bas à Philippe II, à la tête des mécontents de Flandre, on peut juger si le roi d’Espagne encourageait la Ligue en France, où elle prenait chaque jour de nouvelles forces. Quelle ressource le roi crut-il avoir contre elle ? celle d’instituer des confréries de pénitents, de bâtir des cellules de moines à Vincennes pour lui et pour les compagnons de ses plaisirs, de prier Dieu en public tandis qu’il outrageait la nature en secret, de se vêtir d’un sac blanc, de porter une discipline et un rosaire à la ceinture, et de s’appeler frère Henri. Cela même indigna et enhardit les ligueurs. On prêchait publiquement dans Paris contre sa dévotion scandaleuse. La faction des Seize se formait sous le duc de Guise, et Paris n’était plus au roi que de nom.

(1585) Henri de Guise, devenu maître du parti catholique, avait déjà des troupes avec l’argent de son parti, et il attaquait