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DE HENRI IV.

chassé de son palais parce qu’il avait la lèpre, et qui n’avait la lèpre que pour avoir voulu offrir de l’encens au Seigneur ? « L’hérésie, dit l’avocat d’Orléans (page 230), est la lèpre de l’âme ; par conséquent Henri IV est un lépreux qui ne doit pas régner. » C’est ainsi que raisonne tout le parti de la Ligue ; mais il faut transcrire les propres paroles de l’avocat au sujet de la loi salique[1].

« Le devoir d’un roi de France est d’être chrétien aussi bien que mâle. Qui ne tient la foi catholique, apostolique et romaine, n’est point chrétien, et ne croit point en Dieu, et ne peut être justement roi de France, non plus que le plus grand faquin du monde (page 224). »

Voici un morceau encore plus étrange :

« Pour être roi de France, il est plus nécessaire d’être catholique que d’être homme : qui dispute cela mérite qu’un bourreau lui réponde plutôt qu’un philosophe (page 272). »

Rien ne sert plus à faire connaître l’esprit du temps. Ces maximes étaient en vigueur dans Rome depuis huit cents ans, et elles n’étaient en horreur dans la moitié de l’Europe que depuis un siècle. Les Espagnols, avec de l’argent et des prêtres, faisaient valoir ces opinions en France, et Philippe II eût soutenu les sentiments contraires s’il y avait eu le moindre intérêt.

Pendant qu’on employait contre Henri les armes, la plume, la politique, et la superstition ; pendant que ces états, aussi tumultueux, aussi divisés qu’irréguliers, se tenaient dans Paris, Henri était aux portes, et menaçait la ville. Il y avait quelques partisans. Beaucoup de vrais citoyens, lassés de leurs malheurs et du joug d’une puissance étrangère, soupiraient après la paix ; mais le peuple était retenu par la religion. La plus vile populace fait en ce point la loi aux grands et aux sages ; elle compose le plus grand nombre ; elle est conduite aveuglément, elle est fanatique ; et Henri IV n’était pas en état d’imiter Henri VIII et la reine Élisabeth. Il fallut changer de religion : il en coûte toujours à un brave homme. Les lois de l’honneur, qui ne changent jamais chez les peuples policés, tandis que tout le reste change, attachent quelque honte à ces changements quand l’intérêt les dicte ; mais cet intérêt était si grand, si général, si lié au bien du royaume, que les meilleurs serviteurs qu’il eût parmi les calvinistes lui conseillèrent d’embrasser la religion même qu’ils haïssaient. « Il

  1. Le texte même de L. d’Orléans se trouve dans une note que j’ai ajoutée au 13e entretien de l’A. B. C., dialogue : voyez Mélanges, année 1768. (B.)