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CHAPITRE CLXXIV.

avoir la même gloire. Celle qu’elle mérite fut obscurcie par les artifices de comédienne qu’on lui reprochait, et souillée par le sang de Marie Stuart, dont rien ne la peut laver. Sixte-Quint se fit un nom par les obélisques qu’il releva, et par les monuments dont il embellit Rome ; mais sans ce mérite, qui est bien loin d’être le premier, on ne l’aurait connu que pour avoir obtenu la papauté par quinze ans de fausseté, et pour avoir été sévère jusqu’à la cruauté.

Ceux qui reprochent encore à Henri IV ses amours si amèrement ne font pas réflexion que toutes ses faiblesses furent celles du meilleur des hommes, et qu’aucune ne l’empêcha de bien gouverner. Il y parut assez lorsqu’il se préparait à être l’arbitre de l’Europe, à l’occasion de la succession de Juliers. C’est une calomnie absurde de Le Vassor et de quelques autres compilateurs, que Henri voulut entreprendre cette guerre pour la jeune princesse de Condé. Il faut en croire le duc de Sully, qui avoue la faiblesse de ce monarque, et qui, en même temps, prouve que les grands desseins du roi n’avaient rien de commun avec la passion de l’amour. Ce n’était pas certainement pour la princesse de Condé que Henri avait fait le traité de Quérasque, qu’il s’était assuré de tous les potentats d’Italie, de tous les princes protestants d’Allemagne, et qu’il allait mettre le comble à sa gloire en tenant la balance de l’Europe entière.

Il était prêt à marcher en Allemagne à la tête de quarante-six mille hommes. Quarante millions en réserve, des préparatifs immenses, des alliances sûres, d’habiles généraux formés sous lui, les princes protestants d’Allemagne, la nouvelle république des Pays-Bas, prêts à le seconder, tout l’assurait d’un succès solide. La prétendue division de l’Europe en quinze dominations est reconnue pour une chimère qui n’entra point dans sa tête. S’il y avait jamais eu de négociation entamée sur un dessein si extraordinaire, on en aurait trouvé quelque trace en Angleterre, à Venise, en Hollande, avec lesquelles on suppose que Henri avait préparé cette révolution ; il n’y en a pas le moindre vestige : le projet n’est ni vrai, ni vraisemblable ; mais par ses alliances, par ses armes, par son économie, il allait changer le système de l’Europe, et s’en rendre l’arbitre.

Si on faisait ce portrait fidèle de Henri IV à un étranger de bon sens, qui n’eût jamais entendu parler de lui auparavant, et qu’on finît par lui dire : C’est là ce même homme qui a été assassiné au milieu de son peuple, et qui l’a été plusieurs fois, et par des hommes auxquels il n’avait pas fait le moindre mal ; il ne le pourrait croire.