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CHAPITRE LXXX.


CHAPITRE LXXX.


De la France du temps de Charles VII. De la Pucelle,
et de Jacques Ccœur.


Ce débordement de l’Angleterre en France fut enfin semblable à celui qui avait inondé l’Angleterre, du temps de Louis VIII ; mais il fut plus long et plus orageux. Il fallut que Charles VII regagnât pied à pied son royaume. Il avait à combattre le régent Betford, aussi absolu que Henri V, et le duc de Bourgogne, devenu l’un des plus puissants princes de l’Europe, par l’union du Hainaut, du Brabant et de la Hollande à ses domaines. Les amis de Charles VII étaient pour lui aussi dangereux que ses ennemis. La plupart abusaient de ses malheurs, au point que le comte de Bichemont, son connétable, frère du duc de Bretagne, fit étrangler deux de ses favoris.

On peut juger de l’état déplorable où Charles était réduit, par la nécessité où il fut de baisser dans les pays de son obéissance la livre numéraire, qui valait plus de 8 de nos livres à la fin du règne de Charles V, à moins de 15/100es de ces mêmes livres actuelles ; en sorte qu’elle ne désignait alors qu’un cinquantième de la valeur qu’elle avait désignée peu d’années auparavant.

Il fallut bientôt recourir à un expédient plus étrange, à un miracle. Un gentilhomme des frontières de Lorraine, nommé Baudricourt, crut trouver dans une jeune servante d’un cabaret de Vaucouleurs un personnage propre à jouer le rôle de guerrière et d’inspirée. Cette Jeanne d’Arc, que le vulgaire croit une bergère, était en effet une jeune servante d’hôtellerie, « robuste, montant chevaux à poil, comme dit Monstrelet, et faisant autres apertises que jeunes filles n’ont point accoutumé de faire ». On la fit passer pour une bergère de dix-huit ans. Il est cependant avéré, par sa propre confession, qu’elle avait alors vingt-sept années. Elle eut assez de courage et assez d’esprit pour se charger de cette entreprise, qui devint héroïque. On la mena devant le roi à Bourges. Elle fut examinée par des femmes, qui ne manquèrent pas de la trouver vierge, et par une partie des docteurs de l’université et quelques conseillers du parlement, qui ne balancèrent pas à la déclarer inspirée ; soit qu’elle les trompât, soit qu’ils fussent eux-mêmes assez habiles pour entrer dans cet artifice : le vulgaire le crut, et ce fut assez.