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LA FRANCE, DU TEMPS DE CHARLES VII

(1429) Les Anglais assiégeaient alors la ville d’Orléans, la seule ressource de Charles, et étaient prêts de s’en rendre maîtres. Cette fille guerrière, vêtue en homme, conduite par d’habiles capitaines, entreprend de jeter du secours dans la place. Elle parle aux soldats de la part de Dieu, et leur inspire ce courage d’enthousiasme qu’ont tous les hommes qui croient voir la Divinité combattre pour eux. Elle marche à leur tête et délivre Orléans, bat les Anglais, prédit à Charles qu’elle le fera sacrer dans Reims, et accomplit sa promesse l’épée à la main. Elle assista au sacre, tenant l’étendard avec lequel elle avait combattu.

(1429) Ces victoires rapides d’une fille, les apparences d’un miracle, le sacre du roi qui rendait sa personne plus vénérable, allaient bientôt rétablir le roi légitime et chasser l’étranger ; mais l’instrument de ces merveilles, Jeanne d’Arc, fut blessée et prise en défendant Compiègne. Un homme tel que le Prince Noir eût honoré et respecté son courage. Le régent Betford crut nécessaire de la flétrir pour ranimer ses Anglais. Elle avait feint un miracle, Betford feignit de la croire sorcière. Mon but est toujours d’observer l’esprit du temps ; c’est lui qui dirige les grands événements du monde. L’université de Paris présenta requête contre Jeanne d’Arc, l’accusant d’hérésie et de magie. Ou l’université pensait ce que le régent voulait qu’on crût ; ou si elle ne le pensait pas, elle commettait une lâcheté détestable. Cette héroïne, digne du miracle qu’elle avait feint, fut jugée à Rouen par Cauchon, évêque de Beauvais, cinq autres évêques français, un seul évêque d’Angleterre, assistés d’un moine dominicain, vicaire de l’Inquisition, et par des docteurs de l’université. Elle fut qualifiée de « superstitieuse, devineresse du diable, blasphémeresse en Dieu et en ses saints et saintes, errant par moult de fors en la foi de Christ ». Comme telle, elle fut condamnée à jeûner au pain et à l’eau dans une prison perpétuelle. Elle fit à ses juges une réponse digne d’une mémoire éternelle. Interrogée pourquoi elle avait osé assister au sacre de Charles avec son étendard, elle répondit : « Il est juste que qui a eu part au travail en ait à l’honneur. »

(1431) Enfin, accusée d’avoir repris une fois l’habit d’homme, qu’on lui avait laissé exprès pour la tenter, ses juges, qui n’étaient pas assurément en droit de la juger, puisqu’elle était prisonnière de guerre, la déclarèrent hérétique relapse, et firent mourir par le feu celle qui, ayant sauvé son roi, aurait eu des autels dans les temps héroïques, où les hommes en élevaient à leurs libérateurs. Charles VII rétablit depuis sa mémoire, assez honorée par son supplice même.