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CHAPITRE LXXXII.
Ne s’avengear deli suo ennemi,
Loz dison qu’es Vaudes, et los feson morir.


Cette citation a encore son utilité, en ce qu’elle est une preuve que tous les réformateurs ont toujours affecté des mœurs sévères[1].

Ce jargon se maintint malheureusement tel qu’il était en Provence et en Languedoc, tandis que sous la plume de Pétrarque la langue italienne atteignit à cette force et à cette grâce qui, loin de dégénérer, se perfectionna encore. L’italien prit sa forme à la fin du xiiie siècle, du temps du bon roi Robert, grand-père de la malheureuse Jeanne. Déjà le Dante, Florentin, avait illustré la langue toscane par son poème bizarre, mais brillant de beautés naturelles, intitulé Comédie ; ouvrage dans lequel l’auteur s’éleva dans les détails au-dessus du mauvais goût de son siècle et de son sujet, et rempli de morceaux écrits aussi purement que s’ils étaient du temps de l’Arioste et du Tasse. On ne doit pas s’étonner que l’auteur, l’un des principaux de la faction gibeline, persécuté par Boniface VIII et par Charles de Valois, ait dans son poème exhalé sa douleur sur les querelles de l’empire et du sacerdoce. Qu’il soit permis d’insérer ici une faible traduction d’un des passages du Dante, concernant ces dissensions. Ces monuments de l’esprit humain délassent de la longue attention aux malheurs qui ont troublé la terre :

Jadis on vit dans une paix profonde
De deux soleils les flambeaux luire au monde,
Qui sans se nuire éclairant les humains,
Du vrai devoir enseignaient les chemins,
Et nous montraient de l’aigle impériale
Et de l’agneau les droits et l’intervalle.
Ce temps n’est plus, et nos cieux ont changé.
L’un des soleils, de vapeurs surchargé,
En s’échappant de sa sainte carrière,
Voulut de l’autre absorber la lumière.
La règle alors devint confusion.
Et l’humble agneau parut un fier lion,
  1. Ces vers montrent également que dès ce temps les hommes qui cultivaient leur esprit savaient se moquer des préjugés, et sentaient combien ces persécutions étaient injustes et atroces. On en trouve plusieurs autres preuves dans le recueil des Fabliaux, par M. Le Grand. Cependant le fanatisme a duré encore six siècles, soit parce que la première et la dernière classe d’une nation sont toujours celles où la lumière arrive le plus tard, soit parce que tant qu’un pays n’a point de bonnes lois, ou que le progrès des lumières n’y supplée point, c’est toujours entre les mains de la populace que réside véritablement le pouvoir. (K.)