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AFFRANCHISSEMENTS, PRIVILÉGES DES VILLES.

difficilement, dans leur droit naturel, Louis Hutin ne put forcer les seigneurs ses vassaux à faire pour les sujets de leurs domaines ce qu’il faisait pour les siens. Les cultivateurs, les bourgeois même, restèrent encore longtemps hommes de poest, hommes de puissance attachés à la glèbe, ainsi qu’ils le sont encore en plusieurs provinces d’Allemagne. Ce ne fut guère en France que du temps de Charles VII[1] que la servitude fut abolie dans les principales villes. Enfin il est si difficile de faire bien qu’en 1778, temps auquel je revois ce chapitre, il est encore quelques cantons en France où le peuple est esclave, et, ce qui est aussi horrible que contradictoire, esclaves de moines[2].

Le monde avec lenteur marche vers la sagesse[3].

Avant Louis Hutin les rois anoblirent quelques citoyens. Philippe le Hardi, fils de saint Louis, anoblit Raoul qu’on appelait Raoul l’Orfévre, non que ce fût un ouvrier, son anoblissement eût été ridicule : c’était celui qui gardait l’argent du roi. On appelait orfévres ces dépositaires, ainsi qu’on les nomme encore à Londres, où l’on a retenu beaucoup de coutumes de l’ancienne France ; et saint Louis anoblit sans doute son chirurgien La Brosse, puisqu’il le fit son chambellan.

Les communautés des villes avaient commencé en France sous Philippe le Bel, en 1301, à être admises dans les états généraux, qui furent alors substitués aux anciens parlements de la nation, composés auparavant des seigneurs et des prélats. Le tiers état y forma son avis sous le nom de requête : cette requête fut présentée à genoux. L’usage a toujours subsisté que les députés du tiers état parlassent aux rois un genou en terre, ainsi que les gens du parlement, du parquet, et le chancelier même dans

  1. Dans l’édition de 1775 et autres on lisait : que la servitude fut entièrement abolie par l’affaiblissement des seigneurs. Les Anglais mêmes y contribuèrent beaucoup en apportant avec eux la liberté, qui fait leur caractère. Avant Louis Hutin même les rois ennoblirent, etc. Cependant l’édition de 1769 (in-4°) portait déjà anoblirent. (B.)
  2. Ce sont les moines de l’abbaye de Cherzel et les chanoines du chapitre noble de Saint-Claude que Voltaire désigne ici. Depuis 1770 il avait élevé contre eux sa voix en faveur des serfs du mont Jura. Voyez dans les Mélanges, année 1770, l’opuscule intitulé Au roi en son conseil pour les sujets du roi qui réclament la liberté en France, et les autres écrits postérieurs. (B.)
  3. Vers des Lois de Minos, acte III, scène v (tome VI du Théâtre, page 213).