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RÉSUMÉ DE CETTE HISTOIRE.
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semblables nous sont transmis par des contemporains éclairés[1].

Les chroniques du temps de Philippe-Auguste et l’abbaye de la Victoire sont des preuves de la bataille de Bouvines ; mais quand vous verrez à Rome le groupe du Laocoon, croirez-vous pour cela la fable du cheval de Troie ? et quand vous verrez les hideuses statues d’un saint Denis sur le chemin de Paris, ces monuments de barbarie vous prouveront-ils que saint Denis, ayant eu le cou coupé, marcha une lieue entière portant sa tête entre ses bras, et la baisant de temps en temps ?

La plupart des monuments, quand ils sont érigés longtemps après l’action, ne prouvent que des erreurs consacrées ; il faut même quelquefois se défier des médailles frappées dans le temps d’un événement. Nous avons vu les Anglais, trompés par une fausse nouvelle, graver sur l’exergue d’une médaille : À l’amiral Vernon, vainqueur de Carthagène ; et à peine cette médaille fut-elle frappée qu’on apprit que l’amiral Vernon avait levé le siége. Si une nation dans laquelle il y a tant de philosophes a pu hasarder de tromper ainsi la postérité, que devons-nous penser des peuples et des temples abandonnés à la grossière ignorance ?

Croyons les événements attestés par les registres publics, par le consentement des auteurs contemporains, vivant dans une capitale, éclairés les uns par les autres, et écrivant sous les yeux des principaux de la nation. Mais pour tous ces petits faits obscurs et romanesques, écrits par des hommes obscurs dans le fond de quelque province ignorante et barbare ; pour ces contes chargés de circonstances absurdes ; pour ces prodiges qui déshonorent l’histoire au lieu de l’embellir, renvoyons-les à Voragine[2], au jésuite Caussin, à Maimbourg, et à leurs semblables.

Il est aisé de remarquer combien les mœurs ont changé dans presque toute la terre depuis les inondations des barbares jusqu’à nos jours. Les arts, qui adoucissent les esprits en les éclairant, commencèrent un peu à renaître dès le XIIe siècle ; mais les plus lâches et les plus absurdes superstitions, étouffant ce germe, abrutissaient presque tous les esprits ; et ces superstitions, se

  1. Voltaire redit cela dans le Dictionnaire philosophique, section iii du mot Histoire. (B.)
  2. Voragine est l’auteur de la Légende dorée. (Note de Voltaire.) — L’ouvrage de Jacques de Voragine est intitulé Legenda sanctorum, sive Historia longobardica. La première édition avec date est de 1475. « Le succès qu’il obtint lui fit, dit Ginguené, donner le nom de Legenda aurea, que nous traduisons en français par Légende dorée ; mais nous en rabaissons le prix par cette traduction infidèle ; nous mettons la couleur au lieu de la matière ; il faudrait dire Légende d’or. » (B.)