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HENRI VI.

il les fit sans doute, et il était assez redouté pour ne pas trouver de contradiction. Il est certain que son épitaphe, à Païenne, porte qu’il réunit la Sicile à l’empire ; mais les papes rendirent bientôt cette réunion inutile, et, à sa mort, il parut bien que le droit d’élection était toujours cher aux seigneurs d’Allemagne.

Cependant Henri VI passe à Naples par terre ; tous les seigneurs y étaient animés contre lui ; un soulèvement général était à craindre : il les dépouille de leurs fiefs, et les donne aux Allemands ou aux Italiens de son parti. Le désespoir forme la conjuration que l’empereur voulait prévenir. Un comte Jourdan, de la maison des princes normands, se met à la tête des peuples. Il est livré à l’empereur, qui le fait périr par un supplice qu’on croirait imité des tyrans fabuleux de l’antiquité : on l’attache nu sur une chaise de fer brûlante ; on le couronne d’un cercle de fer enflammé, qu’on lui attache avec des clous.

1197. Alors l’empereur laisse partir le reste de ses Allemands croisés ; ils abordent en Chypre. L’évêque de Vurtzbourg, qui les conduit, donne la couronne de Chypre à Émeri[1] de Lusignan, qui aimait mieux être vassal de l’empire allemand que de l’empire grec.

Ce même Émeri de Lusignan, roi de Chypre, épouse Isabelle, fille du dernier roi de Jérusalem ; et de là vient le vain titre de roi de Chypre et de Jérusalem, que plusieurs souverains se sont disputé en Europe.

Les Allemands croisés éprouvèrent des fortunes diverses en Asie. Pendant ce temps Henri VI reste en Sicile avec peu de troupes. Sa sécurité le perd ; on conspire à Naples et en Sicile contre le tyran. Sa propre femme, Constance, est l’âme de la conjuration. On prend les armes de tous côtés ; Constance abandonne son cruel mari, et se met à la tête des conjurés. On tue tout ce qu’on trouve d’Allemands en Sicile. C’est le premier coup des vêpres siciliennes, qui sonnèrent depuis sous Charles de France. Henri est obligé de capituler avec sa femme ; il meurt[2], et l’on prétend que c’est d’un poison que cette princesse lui donna : crime peut-être excusable dans une femme qui vengeait sa famille et sa patrie, si l’empoisonnement, et surtout l’empoisonnement d’un mari, pouvait jamais être justifié.

  1. Amauri II de Lusignan, marié à la reine Isabelle, en 1197, mort en 1205.
  2. Le 28 septembre, à Messine.