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PHILIPPE Ier.

prouvait mieux que c’était elle qui avait conspiré contre son mari Henri VI. Elle retenait sous l’obéissance du fils ceux qu’elle avait soulevés contre le père. Naples et Sicile aimaient dans le jeune Frédéric le fils de Constance et le sang de leurs rois. Ils ne regardaient pas même ce Frédéric II comme le fils de Henri VI, et il y a très-grande apparence qu’il ne l’était pas puisque sa mère, en demandant pour lui l’investiture de Naples et de Sicile au pape Célestin III, avait été obligée de jurer que Henri VI était son père.

Le fameux pape Innocent III, fils d’un comte de Segni, étant monté sur le siége de Rome, il faut une nouvelle investiture. Ici commence une querelle singulière, qui dure encore depuis plus de cinq cents années.

On a vu ces chevaliers de Normandie, devenus princes et rois dans Naples et Sicile, relevant d’abord des empereurs, faire ensuite hommage aux papes. Lorsque Roger, encore comte de Sicile, donnait de nouvelles lois à cette île, qu’il enlevait à la fois aux mahométans et aux Grecs, lorsqu’il rendait tant d’églises à la communion romaine, le pape Urbain II lui accorda solennellement le pouvoir des légats à latere et des légats-nés du saint-siége[1]. Ces légats jugeaient en dernier ressort toutes les causes ecclésiastiques, conféraient les bénéfices, levaient des décimes. Depuis ce temps les rois de Sicile étaient en effet légats, vicaires du saint-siége dans ce royaume, et vraiment papes chez eux. Ils avaient véritablement les deux glaives. Ce privilége unique, que tant de rois auraient pu s’arroger, n’était connu qu’en Sicile. Les successeurs du pape Urbain II avaient confirmé cette prérogative, soit de gré, soit de force. Célestin III ne l’avait pas contestée. Innocent III s’y opposa, traita la légation des rois en Sicile de subreptice, exigea que Constance y renonçât pour son fils, et qu’elle fît un hommage lige pur et simple de la Sicile.

Constance meurt[2] avant d’obéir, et laisse au pape la tutelle du roi et du royaume.

1201. Innocent III ne reconnaît point l’empereur Philippe ; il reconnaît Othon, et lui écrit : « Par l’autorité de Dieu à nous donnée, nous vous recevons roi des Romains, et nous ordonnons qu’on vous obéisse ; et après les préliminaires ordinaires, nous vous donnerons la couronne impériale. » Le roi de France Philippe-Auguste, partisan de Philippe de

  1. Voyez la note, tome XI, page 362.
  2. Le 27 novembre 1198.