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ANNALES DE L’EMPIRE.

Grégoire IX fait exposer les têtes de saint Pierre et de saint Paul. Où les avait-on prises ? Il harangue le peuple en leur nom, échauffe tous les esprits, et profite de ce moment d’enthousiasme pour faire une croisade contre Frédéric.

Ce prince, ne pouvant entrer dans Rome, va ravager le Bénéventin. Tel était le pouvoir des papes dans l’Europe, et le seul nom de croisade était devenu si sacré que le pape obtient le vingtième des revenus ecclésiastiques en France, et le cinquième en Angleterre, pour sa croisade contre l’empereur.

Il offre, par ses légats, la couronne impériale à Robert d’Artois, frère de saint Louis. Il est dit dans sa lettre au roi et au baronnage de France : « Nous avons condamné Frédéric, soi-disant empereur, et lui avons ôté l’empire. Nous avons élu en sa place le prince Robert, frère du roi : nous le soutiendrons de toutes nos forces, et par toutes sortes de moyens. »

Cette offre indiscrète fut refusée. Quelques historiens disent, en citant mal Matthieu Pâris[1], que les barons de France répondirent qu’il suffisait à Robert d’Artois d’être frère d’un roi qui était au-dessus de l’empereur. Ils prétendent même que les ambassadeurs de saint Louis auprès de Frédéric lui dirent la même chose dans les mêmes termes. Il n’est nullement vraisemblable qu’on ait répondu une grossièreté si indécente, si peu fondée, et si inutile.

La réponse des barons de France, que Matthieu Paris rapporte, n’a pas plus de vraisemblance. Les premiers de ces barons étaient tous les évêques du royaume ; or il est bien difficile que tous les barons et tous les évêques du temps de saint Louis aient répondu au pape : Tantum religionis in papa non invenimus. Imo qui eum debuit promovisse, et Deo militantem protexisse, eum conatus est absentem confundere et nequiter supplantare. « Nous ne trouvons pas tant de religion dans le pape que dans Frédéric II ; dans ce pape qui devait secourir un empereur combattant pour Dieu, et qui profite de son absence pour l’opprimer et le supplanter méchamment. »

Pour peu qu’un lecteur ait de bon sens, il verra bien qu’une nation en corps ne peut faire une réponse insultante au pape qui offre l’empire à cette nation. Comment les évêques auraient-ils écrit au pape que l’incrédule Frédéric II avait plus de religion que lui ? Que ce trait apprenne à se défier des historiens qui érigent leurs propres idées en monuments publics.

  1. Auteur de la Chronica major, traduite en français par M. Huillard-Bréholles, 1840-1841.