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DU MINISTÈRE DU CARDINAL DE RICHELIEU.

même. C’était l’ancien usage du gouvernement de la pairie, quand les rois n’étaient encore regardés que comme les chefs des pairs ; mais sous un gouvernement purement monarchique, la présence, la voix du souverain dirigeait trop l’opinion des juges.

(1638) Cette guerre, excitée par le cardinal, ne réussit que quand le duc de Veimar eut enfin gagné une bataille complète, dans laquelle il fit quatre généraux de l’empereur prisonniers, qu’il s’établit dans Fribourg et dans Brisach, et qu’enfin la branche d’Autriche espagnole eut perdu le Portugal par la seule conspiration heureuse de ces temps-là, et qu’elle perdit encore la Catalogne par une révolte ouverte, sur la fin de 1640. Mais avant que la fortune eût disposé de tous ces événements extraordinaires en faveur de la France, le pays était exposé à la ruine ; les troupes commençaient à être mal payées. Grotius, ambassadeur de Suède à Paris, dit que les finances étaient mal administrées. Il avait bien raison, car le cardinal fut obligé, quelque temps après la perte de Corbie, de créer vingt-quatre nouveaux conseillers du parlement et un président. Certainement on n’avait pas besoin de nouveaux juges ; et il était honteux de n’en faire que pour tirer quelque argent de la vente des charges. Le parlement se plaignit. Le cardinal, pour toute réponse, fit mettre en prison cinq magistrats qui s’étaient plaints en hommes libres. Tout ce qui lui résistait dans la cour, dans le parlement, dans les armées, était disgracié, exilé, ou emprisonné.

C’est une chose peu digne d’attention qu’il ne se trouva que vingt personnes qui achetassent ces places de juges ; mais ce qui fait connaître l’esprit des hommes, et surtout des Français, c’est que ces nouveaux membres furent longtemps l’objet de l’aversion et du mépris de tout le corps ; c’est que, dans la guerre de la Fronde, ils furent obligés de payer chacun quinze mille livres pour obtenir les bonnes grâces de leurs confrères, par cette contribution à la guerre contre le gouvernement ; c’est, comme vous le verrez[1], qu’ils en eurent le sobriquet de Quinze-Vingts ; c’est qu’enfin, de nos jours, quand on a voulu supprimer des conseillers inutiles, le parlement, qui avait éclaté contre l’introduction des membres surnuméraires, a éclaté contre la suppression. C’est ainsi que les mêmes choses sont bien ou mal reçues selon les temps, et qu’on se plaint souvent autant de la guérison que de la blessure.

  1. Chapitre iv du Siècle de Louis XIV. Lorsqu’en 1761 Voltaire se servait des mots Comme vous le verrez, il avait réimprimé le Siècle de Louis XIV à la suite de l’Essai.