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CHARLES IV.

1366. Les grandes-compagnies reviennent encore sur le Rhin, et de là vont tout dévaster jusqu’à Avignon[1]. C’est une des causes qui enfin engagent Urbain V à se réfugier à Rome, après que les papes ont été réfugiés soixante et douze ans sur les bords du Rhône.

Les Viscontis, plus dangereux que les grandes-compagnies, tenaient toutes les issues des Alpes ; ils s’étaient emparés du Piémont, ils menaçaient la Provence. Urbain, n’ayant que des paroles de l’empereur pour secours, s’embarque sur une galère de la coupable et malheureuse Jeanne, reine de Naples.

1367. L’empereur s’excuse de secourir le pape, pour être spectateur de la guerre que la maison d’Autriche et la maison de Bavière se font dans le Tyrol, et le pape Urbain V, après avoir fait quelques ligues inutiles avec l’Autriche et la Hongrie, fait voir enfin un pape aux Romains, le 16 octobre. Il n’y est reçu qu’en premier évêque de la chrétienté, et non en souverain.

1368. La ville de Fribourg en Brisgau, qui avait voulu être libre, retombe au pouvoir de la maison d’Autriche, par la cession d’un comte Égon, qui en était l’avoué, c’est-à-dire le défenseur, et qui se désista de cette protection pour douze mille florins.

Le rétablissement des papes à Rome n’empêchait pas les Viscontis de dominer dans la Lombardie, et on était prêt de voir renaître un royaume plus puissant et plus étendu que celui des anciens Lombards.

L’empereur va enfin en Italie au secours du pape, ou plutôt à celui de l’empire. Il avait une armée formidable dans laquelle il y avait de l’artillerie.

Cette affreuse invention commençait à s’établir ; elle était encore inconnue aux Turcs ; et si on s’en était servi contre eux, on les eût aisément chassés de l’Europe. Les chrétiens ne s’en servaient encore que contre les chrétiens.

Le pape attirait à la fois en Italie, d’un côté le duc d’Autriche, de l’autre l’empereur, chacun avec une puissante armée ; c’était de quoi exterminer à la fois la liberté de l’Italie, et celle même du pape. C’est la fatalité de ce beau et malheureux pays que les papes y ont toujours appelé les étrangers, qu’ils auraient voulu éloigner.

  1. Ces grandes-compagnies, composées d’un nombre considérable de gentilshommes bretons, anglais et francais, qui firent beaucoup plus de cas de l’argent du pape que de son absolution, étaient commandées par Bertrand du Guesclin, grand guerrier et grand pillard. Voltaire parle de ce chevalier sans peur, et non pas sans reproche, dans le chapitre lxxvii de l’Essai sur les Mœurs, (Cl.)