Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/257

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campagne de 1667, où un jeune roi, aimant la magnificence, étalait celle de sa cour dans les fatigues de la guerre, tout le monde se piqua de somptuosité et de goût dans la bonne chère, dans les habits, dans les équipages. Ce luxe, la marque certaine de la richesse d’un grand État, et souvent la cause de la décadence d’un petit, était cependant encore très-peu de chose auprès de celui qu’on a vu depuis. Le roi, ses généraux, et ses ministres, allaient au rendez-vous de l’armée à cheval ; au lieu qu’aujourd’hui il n’y a point de capitaine de cavalerie, ni de secrétaire d’un officier général qui ne fasse ce voyage en chaise de poste avec des glaces et des ressorts, plus commodément et plus tranquillement qu’on ne faisait alors une visite dans Paris d’un quartier à un autre.

La délicatesse des officiers ne les empêchait point alors d’aller à la tranchée avec le pot en tête et la cuirasse sur le dos. Le roi en donnait l’exemple : il alla ainsi à la tranchée devant Douai et devant Lille. Cette conduite sage conserva plus d’un grand homme. Elle a été trop négligée depuis par des jeunes gens peu robustes, pleins de valeur, mais de mollesse, et qui semblent plus craindre la fatigue que le danger.

La rapidité de ces conquêtes remplit d’alarmes Bruxelles ; les citoyens transportaient déjà leurs effets dans Anvers. La conquête de la Flandre entière pouvait être l’ouvrage d’une campagne. Il ne manquait au roi que des troupes assez nombreuses pour garder les places, prêtes à s’ouvrir à ses armes. Louvois lui conseilla de mettre de grosses garnisons dans les villes prises, et de les fortifier. Vauban, l’un de ces grands hommes et de ces génies qui parurent dans ce siècle pour le service de Louis XIV, fut chargé de ces fortifications. Il les fit suivant sa nouvelle méthode, devenue aujourd’hui la règle de tous les bons ingénieurs. On fut étonné de ne plus voir les places revêtues que d’ouvrages presque au niveau de la campagne. Les fortifications hautes et menaçantes n’en étaient que plus exposées à être foudroyées par l’artillerie : plus il les rendit rasantes, moins elles étaient en prise. Il construisit la citadelle de Lille sur ces principes (1668). On n’avait point encore en France détaché le gouvernement d’une ville de celui de la forteresse. L’exemple commença en faveur de Vauban ; il fut le premier gouverneur d’une citadelle. On peut encore observer que le premier de ces plans en relief qu’on voit dans la galerie du Louvre[1] fut celui des fortifications de Lille.

  1. Ces plans ont été depuis transportés aux Invalides. (K.)