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PREMIÈRE PARTIE.

concernant les écrivains qui ont fleuri dans le siècle de Louis XIV, et dont plusieurs l’ont illustré. Il a fallu que l’auteur fît venir de loin la plupart de leurs ouvrages, qu’il les parcourût, qu’il tâchât d’en saisir l’esprit, et qu’il resserrât dans les bornes les plus étroites ce qu’il a cru devoir penser d’eux, d’après les plus savants hommes. Ainsi deux lignes ont coûté quelquefois quinze jours de lecture. L’auteur, quoique très-malade, a travaillé sans relâche, une année entière, à ces deux seuls petits volumes, dans lesquels il a tâché de renfermer tout ce qui s’est fait et s’est écrit de plus remarquable dans l’espace de cent années. L’amour seul de la patrie et de la vérité l’a soutenu dans un travail d’autant plus pénible qu’il paraît moins l’être. Tous les honnêtes gens de France et des pays étrangers lui en ont su gré ; et même en Angleterre les esprits fermes, dont cette nation philosophe et guerrière abonde, ont tous avoué que l’auteur n’avait été ni flatteur ni satirique. Ils l’ont regardé comme un concitoyen de tous les peuples ; ils ont reconnu dans Louis XIV, non pas un des plus grands hommes, mais un des plus grands rois ; dans son gouvernement, une conduite ferme, noble et suivie, quoique mêlée de fautes : dans sa cour, le modèle de la politesse, du bon goût et de la grandeur, avec trop d’adulation ; dans sa nation, les mœurs les plus sociables, la culture des arts et des belles-lettres poussée au plus haut point, l’intelligence du commerce, un courage digne de combattre les Anglais, puisque rien n’a pu l’abattre, et des sentiments de hauteur et de générosité qu’un peuple libre doit admirer dans un peuple qui ne l’est pas. Il fallait détruire des préjugés de cent années, d’autant plus forts que le célèbre Addison et le chevalier Steele, injustes en ce seul point, les avaient enracinés ; et l’auteur les a détruits, du moins s’il en croit ce qu’on lui mande. Il n’a plus rien à souhaiter s’il a obtenu de la nation qui a produit Marlborough, Newton et Pope, du respect pour le génie de la France[1].

Mais, tandis que le libraire de M. de Voltaire travaillait à cette édition nouvelle, et si supérieure aux autres, il arriva qu’un jeune homme élevé à Genève[2], qui commence à être connu dans la littérature, ayant passé à Berlin et s’étant ensuite arrêté à Francfort, y travailla à une édition clandestine, d’après la première, quoiqu’il fût public que le libraire Walther, en vertu de ses droits,

  1. Dans sa Réponse, La Beaumelle se moque de Voltaire, heureux des applaudissements des Anglais. (G. A.)
  2. La Beaumelle déclare qu’il n’a pas été élevé à Genève, mais en France. (G. A.)