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SUPPLEMENT AU SIECLE DE LOUIS XIV.

Au reste, que La Beaumelle donne la Vie de Mme  de Maintenon après avoir publié ses Lettres ; qu’il y copie mot à mot vingt passages du Siècle de Louis XIV, contre lequel il a écrit ; qu’il contredise au hasard les Mémoires de l’abbé de Choisy, après les avoir soutenus contre moi au hasard ; qu’il se donne la peine de dire que le roi n’acheta point la terre de Maintenon, mais qu’elle fut achetée de l’argent du roi, et par l’avis du roi ; qu’il rapporte que Mme  de Maintenon, dans sa faveur, voyait souvent Mme  de Montespan, après l’avoir nié dans ses Remarques sur le Siècle : tout cela est fort indifférent.

Il peut même faire attaquer vers les côtes de l’Amérique le vaisseau qui portait Mlle  d’Aubigné, par un vaisseau turc, sans que je le reprenne.

Quelques personnes m’ont reproché d’avoir ménagé la mémoire de Mme  de Maintenon, ainsi que La Beaumelle a osé me reprocher dans ses notes d’avoir pu dire plus de mal de M. le maréchal de Villeroi et de M. de Chamillart, et de ne l’avoir pas dit. Je sais combien la loi que Cicéron impose aux historiens est respectable : ils ne doivent oser rien dire de faux ; ils ne doivent rien cacher de vrai[1]. Mais cette loi ordonne-t-elle que l’histoire soit une satire ? À qui Mme  de Maintenon fit-elle du mal ? qui persécuta-t-elle ? Elle fit servir les charmes de son esprit et de sa dévotion même à sa grandeur ; elle dompta son caractère pour dompter Louis XIV. Mais quel abus odieux fit-elle de son pouvoir ? La constitution Unigenitus lui parut la saine doctrine, comme elle le dit dans ses Lettres ; mais combattit-elle pour la saine doctrine par des cabales ? et si elle osa avoir une opinion dans des matières qu’elle n’entendait pas, et qu’un esprit plus mâle aurait négligées, ne doit-on pas savoir gré à une femme de n’avoir mêlé aucune vivacité à cette opinion ?

À l’égard du maréchal de Villeroi, je voudrais bien savoir s’il faut flétrir un homme parce qu’il a été malheureux à la guerre, et parce qu’il avait à combattre des généraux plus habiles que lui. Il est pardonnable au peuple de s’emporter contre un homme dont les mauvais succès ont fait l’infortune de la patrie ; mais l’historien doit voir dans le général qui a fait des fautes l’honnête homme qui n’en a point fait dans la société, qui a été fidèle à

  1. Cicéron, De Oratore, II, xv, dit : Ne quid falsi dicere audeat ; deinde ne quid veri non audeat.