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TROISIÈME PARTIE.

l’amitié, généreux, et bienfaisant. N’y a-t-il donc d’autre gloire que celle d’avoir fait tuer des hommes avec succès ?

Il y avait beaucoup de choses à dire du maréchal de Villeroi, à ce que prétend La Beaumelle ; et je les ai omises, parce qu’à un certain âge on est prudent et flatteur. Je ne sais pas au juste quel âge a La Beaumelle ; mais il paraît qu’il n’est ni l’un ni l’autre, et je ne vois pas qu’il doive me reprocher de la flatterie.

J’ai rendu, ce me semble, justice à M. de Chamillart ; je n’ai rien tu, mais je n’ai rien outré. Ceux qui poursuivent sa mémoire savent-ils seulement ce que c’est que l’administration des finances dans un royaume composé de tant de provinces, où la régie est si différente ; dans un royaume épuisé par la guerre de 1689, et pour qui la guerre de 1701 était devenue nécessaire ; dans un royaume où rien ne pouvait s’opérer que par des emprunts continuels ; enfin dans une guerre longtemps malheureuse, où il en a coûté plus en une seule année, pour l’article seul des vivres, qu’il n’en coûta à Alexandre pour conquérir l’Asie ? Chamillart, sans doute, n’était ni un Colbert ni un Louvois, je l’ai dit ; mais c’était un honnête homme, un homme modéré, et je l’ai dit encore[1]. « Un auteur impartial, dit le juge La Beaumelle, aurait sévi contre Chamillart. » Quelle expression ! et quel juge !

La France et l’Angleterre sont pleines d’écrivains qui croient plaider la cause du genre humain quand ils accusent leur patrie. Il y a des gens qui pensent qu’un historien doit décrier son pays pour paraître impartial, condamner tous les ministres pour paraître juste, et immoler son roi à la haine des siècles à venir pour paraître libre. Plusieurs ont écrit avec plus de licence que moi, nul avec plus de liberté : mon livre n’est pas assurément imprimé à Paris avec approbation et privilége, je n’en veux que de la postérité ; mais ma liberté a été celle d’un honnête homme, d’un citoyen du monde. Quoique j’aie été historiographe de France, je n’ai voulu achever mon ouvrage que hors de France, afin de n’être pas soupçonné de la bassesse de flatter, et de n’être pas glacé par la crainte de déplaire.

Il n’y a que trop de perfidies dans les cours ; je le sais très-bien. Il n’y a que trop de mal dans ce monde ; c’en est un grand de l’exagérer. Peindre les hommes toujours méchants, c’est les inviter à l’être.

Il y avait dans le conseil de Louis XIV des hommes d’une vertu supérieure à celle des Caton. Tel était le duc de Beauvilliers, qui

  1. Voyez tome XIV, page 345.