Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/168

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jours sous l’obéissance de l’Espagne ; bientôt après elle s’empara de presque toute la Sicile en 1718.

Mais Albéroni n’ayant pu réussir, ni à empêcher les Turcs de consommer leur paix avec l’empereur Charles VI, ni à susciter des guerres civiles en France et en Angleterre, vit à la fois l’empereur, le régent de France, et le roi Georges Ier, réunis contre lui.

Le régent de France fit la guerre à l’Espagne de concert avec les Anglais, de sorte que la première guerre entreprise par Louis XV fut contre son oncle, que Louis XIV avait établi au prix de tant de sang ; c’était en effet une guerre civile[1], que le jeune roi de France fit sans le savoir.

Le roi d’Espagne avait eu soin de faire peindre les trois fleurs de lys sur tous les drapeaux de son armée. Le même maréchal de Berwick, qui lui avait gagné des batailles pour affermir son trône, commandait l’armée française. Le duc de Liria, son fils, était officier général dans l’armée espagnole. Le père exhorta le fils, par une lettre pathétique, à bien faire son devoir contre lui-même. L’abbé Dubois[2], depuis cardinal, enfant de la fortune comme Albéroni, et aussi singulier que lui par son caractère, dirigea toute cette entreprise. Lamotte-Houdard, de l’Académie française, composa le manifeste, qui ne fut signé de personne.

Une flotte anglaise battit celle d’Espagne auprès de Messine ; et alors, tous les projets du cardinal d’Albéroni étant déconcertés, ce ministre, regardé six mois auparavant comme le plus grand homme d’État, ne passa plus alors que pour un téméraire et un brouillon. Le duc d’Orléans ne voulut donner la paix à Philippe V qu’à condition qu’il renverrait son ministre : il fut livré par le roi d’Espagne aux troupes françaises[3], qui le conduisirent sur les frontières d’Italie[4]. Ce même homme étant depuis légat à Bo-

  1. J’ajoute la fin de cette phrase d’après l’exemplaire dont je parle dans l’Avertissement. (B.)
  2. Voyez ci-dessus, page 59.
  3. Il ne fut pas livré aux troupes françaises. Chassé d’Espagne, il arriva en France après avoir échappé à un guet-apens, et fut reçu par un envoyé du régent, le chevalier de Marcien. (G. A.)
  4. C’est au même ministre que l’Espagne doit la conservation du tribunal de l’Inquisition, et de cette foule de prérogatives tyranniques ou séditieuses qui, sous le nom d’immunités ecclésiastiques, ont changé en couvents et en déserts le pays de l’Europe le plus beau et le plus fertile, et ont rendu inutiles cette force d’âme et cette sagacité naturelle qui ont toujours formé le caractère et l’esprit de la nation espagnole.

    Macanaz, fiscal du conseil de Castille, avait présenté un Mémoire à Philippe V sur la nécessité de diminuer les énormes abus de ces immunités ecclésiastiques. Le