Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/169

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logne, et ne pouvant plus entreprendre de bouleverser des royaumes, occupa son loisir à tenter de détruire la république de Saint-Marin. (1720) Cependant il résulta de tous ses grands desseins qu’on s’accorda à donner la Sicile à l’empereur Charles VI, et la Sardaigne aux ducs de Savoie, qui l’ont toujours possédée depuis ce temps, et qui prennent le titre de rois de Sardaigne ; mais la maison d’Autriche a perdu depuis la Sicile.

Ces événements publics sont assez connus ; mais ce qui ne l’est pas, et qui est très-vrai, c’est que, quand le régent voulut mettre pour condition de la paix qu’il marierait sa fille, Mlle de Montpensier, au prince des Asturies, don Louis, et qu’on donnerait l’infante d’Espagne[1] au roi de France, il ne put y parvenir qu’en gagnant le jésuite Daubenton, confesseur de Philippe V. Ce jésuite détermina le roi d’Espagne à ce double mariage ; mais ce fut à condition que le duc d’Orléans, qui s’était déclaré contre

    cardinal Giudice, grand-inquisiteur et ambassadeur en France, ayant une copie de ce Mémoire qu’un ministre lui avait confiée, trahit son prince, et la remit à un inquisiteur. Le saint-office rendit un décret contre le Mémoire, et Giudice confirma ce décret par son approbation.

    Cet excès d’insolence devait faire détruire l’Inquisition et perdre Giudice. Qu’espérer pour un pays dans lequel un Mémoire présenté au souverain peut être condamné et flétri par un tribunal, où les avis qu’un citoyen, qu’un ministre croit devoir donner au prince, sont poursuivis comme un crime ?

    Philippe V défendit la publication du décret. Alors les inquisiteurs déclarent que leur conscience ne leur permet point d’obéir. Giudice offre de se démettre de sa place de grand-inquisiteur, ne pouvant, disait-il, concilier son respect pour le roi avec son devoir ; mais il s’arrangea pour faire refuser sa démission par le pape.

    Albéroni venait de conclure le mariage de Philippe V avec la princesse de Parme, il croit qu’il est de son intérêt de s’unir avec Giudice. Tous deux déterminent la nouvelle reine à chasser honteusement la princesse des Ursins. Orry, qui gouvernait sous elle, est renvoyé en France. Macanaz est forcé de s’enfuir, et le petit-fils de Henri IV soumet sa couronne au saint-office. Ce fut sous ces auspices qu’Albéroni entra dans le ministère.

    Le jésuite Robinet, confesseur du roi, n’avait pas désapprouvé Macanaz ; il avait même dit à son pénitent que ce ministre n’avançait dans son Mémoire que des principes avoués en France, qu’on pouvait les adopter sans blesser la conscience ; il perdit sa place, et on vit disgracier un jésuite pour n’avoir pas été assez fanatique.

    Daubenton, plus digne d’être l’instrument d’Albéroni, fut appelé pour diriger la conscience de Philippe V.

    Le cardinal Giudice se crut maître de l’Espagne ; mais Albéroni, qui avait apprécié son ambition et son incapacité, brisa bientôt un appui devenu inutile, et Giudice alla intriguer à Rome contre le roi d’Espagne, de qui il tenait sa fortune.

    C’est ainsi que l’Espagne conserva l’Inquisition, et les abus ecclésiastiques que l’établissement d’une nouvelle race de souverains semblait devoir anéantir ; et cette révolution, qui devait rendre ce royaume une des premières puissances de l’Europe, fut arrêtée par les intrigues de deux prêtres. (K.)

  1. Marie-Anne-Victoire, née en 1718 ; voyez ci-après, chapitre iii, page 173.