Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/188

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sa femme, il avait été dégoûté de son mariage ; et il signa dans une lettre de plaisanterie au cardinal Quirini : Fleury, évêque de Fréjus par l’indignation divine.

Il se démit vers le commencement de 1715. Le maréchal de Villeroi, après beaucoup de sollicitations, obtint de Louis XIV qu’il nommât l’évèque de Fréjus précepteur par son codicille. Cependant voici comme le nouveau précepteur s’en explique dans une lettre au cardinal Quirini :

« J’ai regretté plus d’une fois la solitude de Fréjus. En arrivant, j’ai appris que le roi était à l’extrémité, et qu’il m’avait fait l’honneur de me nommer précepteur de son petit-fils : s’il avait été en état de m’entendre, je l’aurais supplié de me décharger d’un fardeau qui me fait trembler ; mais après sa mort on n’a pas voulu m’écouter : j’en ai été malade, et je ne me console point de la perte de ma liberté. »

Il s’en consola en jetant sourdement les fondements de sa grandeur[1], ne cherchant point à se faire valoir, ne se plaignant de personne, ne s’attirant jamais de refus, n’entrant dans aucune intrigue ; mais il s’instruisait en secret de l’administration intérieure du royaume, et de la politique étrangère. Il fit désirer à la France, par la circonspection de sa conduite, par la séduction aimable de son esprit, qu’on le vît à la tête des affaires. Ce fut le second précepteur qui gouverna la France : il ne prit point le titre de premier ministre, et se contenta d’être absolu. Son administration fut moins contestée et moins enviée que celle de Richelieu et de Mazarin, dans les temps les plus heureux de leurs ministères. Sa place ne changea rien dans ses mœurs. On fut étonné que le premier ministre fût le plus aimable et le plus désintéressé des courtisans. Le bien de l’État s’accorda longtemps avec sa modération. On avait besoin de cette paix qu’il aimait ; et tous les ministres étrangers crurent qu’elle ne serait jamais rompue pendant sa vie[2]. Il haïssait tout système parce que son esprit était heureusement borné, ne comprenant absolument rien à une affaire de finances, exigeant seulement des sous-ministres

  1. Dans toutes les éditions qui ont paru depuis 1768 jusqu’à ce jour (1831), on lisait : « Il s’en consola en formant insensiblement son élève aux affaires, au secret, à la probité, et conserva dans toutes les agitations de la cour, pendant la minorité, la bienveillance du régent et l’estime générale, ne cherchant point, etc. »

    Le texte que je donne est celui de l’exemplaire dont j’ai parlé dans mon Avertissement. (B.)

  2. C’est encore dans cet exemplaire que se trouve la phrase qui termine l’alinéa, et qui n’avait pas encore paru. (B.)