Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/213

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d’auxiliaires, s’efforcèrent de tenir la balance à main armée. La maison de Bourbon fut obligée, pour la seconde fois, de tenir tête à presque toute l’Europe.

Le cardinal de Fleury, trop âgé pour soutenir un si pesant fardeau, prodigua à regret les trésors de la France dans cette guerre entreprise malgré lui, et ne vit que des malheurs causés par des fautes. Il n’avait jamais cru avoir besoin d’une marine : ce qui restait à la France de forces maritimes fut absolument détruit par les Anglais, et les provinces de France furent exposées. L’empereur que la France avait fait fut chassé trois fois de ses propres États.

Les armées françaises furent détruites en Bavière et en Bohême sans qu’il se donnât une seule grande bataille ; et le désastre fut au point qu’une retraite dont on avait besoin, et qui paraissait impraticable, fut regardée comme un bonheur signalé. (Décembre 1742) Le maréchal de Belle-Isle sauva le reste de l’armée française assiégée dans Prague[1], et ramena environ treize mille hommes de Prague à Égra par une route détournée de trente-huit lieues, au milieu des glaces, et à la vue des ennemis[2]. Enfin la guerre fut reportée du fond de l’Autriche au Rhin.

(29 janvier 1743) Le cardinal de Fleury mourut au village d’Issy, au milieu de tous ces désastres, et laissa les affaires de la guerre, de la marine, de la finance et de la politique, dans une crise qui altéra la gloire de son ministère, et non la tranquillité de son âme.

Louis XV prit dès lors la résolution de gouverner par lui-même[3], et de se mettre à la tête d’une armée. Il se trouvait dans la même situation où fut son bisaïeul dans une guerre nommée, comme celle-ci, la guerre de la succession.

Il avait à soutenir la France et l’Espagne contre les mêmes ennemis, c’est-à-dire contre l’Autriche, l’Angleterre, la Hollande, et la Savoie. Pour se faire une idée juste de l’embarras qu’éprouvait le roi, des périls où l’on était exposé, et des ressources qu’il eut, il faut voir comment l’Angleterre donnait le mouvement à toutes ces secousses de l’Europe.

  1. La sortie de Prague eut lieu dans la nuit du 16 au 17 décembre 1742.
  2. Voltaire mettait cette retraite de Prague au-dessus de la retraite des dix mille ; voyez, dans le Dictionnaire philosophique, l’article Xénophon, in fine.
  3. C’est-à-dire qu’il n’eut pas de premier ministre. Mais il s’inspira du cardinal de Tencin, de Noailles et du duc de Richelieu. De là nulle unité dans la politique française. (G. A.)