Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/218

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sous la conduite du duc de Montemar, célèbre par la victoire de Bitonto et ensuite par sa disgrâce. Ces troupes avaient débarqué successivement sur les côtes de la Toscane et dans les ports qu’on appelle l’état degli presidj, appartenant à la couronne des Deux-Siciles. Il fallait passer sur les terres de la Toscane. Le grand-duc, mari de la reine de Hongrie, fut obligé de leur accorder le passage, et de déclarer son pays neutre. Le duc de Modène, marié à la fille du duc d’Orléans, régent de France, se déclara neutre aussi. Le pape Benoît XIV, sur les terres de qui l’armée espagnole devait passer dans ces conjonctures, ainsi que celle des Autrichiens, embrassa la même neutralité à meilleur titre que personne, en qualité de père commun des princes et des peuples, tandis que ses enfants vivaient à discrétion sur son territoire.

De nouvelles troupes espagnoles arrivèrent par la voie de Gênes. Cette république se dit encore neutre, et les laissa passer. Vers ce temps-là même, le roi de Naples embrassait la neutralité, quoiqu’il s’agît de la cause de son père et de son frère : mais de tous ces potentats neutres en apparence, aucun ne l’était en effet.

À l’égard de la neutralité du roi de Naples, voici quelle en fut la suite. On fut étonné, le 18 auguste, de voir paraitre à la vue du port de Naples une escadre anglaise, composée de six vaisseaux de soixante canons, de six frégates, et de deux galiotes à bombes. Le capitaine Martin, depuis amiral, qui commandait cette escadre, envoya à terre un officier avec une lettre au premier ministre, qui portait en substance qu’il fallait que le roi rappelât ses troupes de l’armée espagnole, ou que l’on allait dans l’instant bombarder la ville. On tint quelques conférences : le capitaine anglais dit enfin, en mettant sa montre sur le tillac, qu’il ne donnait qu’une heure pour se déterminer. Le port était mal pourvu d’artillerie ; on n’avait point pris les précautions nécessaires contre une insulte qu’on n’attendait pas. On vit alors que l’ancienne maxime : Qui est maître de la mer l’est de la terre, est souvent vraie. On fut obligé de promettre tout ce que le commandant anglais voulait, et même il fallut le tenir jusqu’à ce qu’on eût le temps de pourvoir à la défense du port et du royaume.

Les Anglais eux-mêmes sentaient bien que le roi de Naples ne pouvait pas plus garder en Italie cette neutralité forcée que le roi d’Angleterre n’avait gardé la sienne en Allemagne.

(Décembre 1743) L’armée espagnole, commandée par le duc de Montemar, venue en Italie pour soumettre la Lombardie, se retirait alors vers les frontières du royaume de Naples, toujours pressée par les Autrichiens. Alors le roi de Sardaigne retourna