Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/264

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Une telle offre n’eut aucune suite ; mais elle devait servir au moins à faire rentrer en elles-mêmes tant de puissances chrétiennes qui, ayant commencé la guerre par intérêt, la continuaient par obstination, et ne la finirent que par nécessité. Au reste, cette médiation du sultan des Turcs était le prix de la paix que le roi de France avait ménagée entre l’empereur d’Allemagne Charles VI et la Porte-Ottomane en 1739.

Le roi de Prusse s’y prit autrement pour avoir la paix et pour garder la Silésie. (15 décembre 1745) Ses troupes battent complètement les Autrichiens et les Saxons aux portes de Dresde[1] ; ce fut le vieux prince d’Anhall qui remporta cette victoire décisive. Il avait fait la guerre cinquante ans. Il était entré le premier dans les lignes des Français au siège de Turin en 1706 ; on le regardait comme le premier officier de l’Europe pour conduire l’infanterie. Cette grande journée fut la dernière qui mit le comble à sa gloire militaire, la seule qu’il eût jamais connue. Il ne savait que combattre.

Le roi de Prusse, habile en plus d’un genre, enferma de tous côtés la ville de Dresde. Il y entre suivi de dix bataillons et de dix escadrons, désarme trois régiments de milice qui composaient la garnison, se rend au palais, où il va voir les deux princes et les trois princesses, enfants du roi de Pologne, qui y étaient demeurés : il les embrassa, il eut pour eux les attentions qu’on devait attendre de l’homme le plus poli de son siècle. Il fit ouvrir toutes les boutiques qu’on avait fermées, donna à dîner à tous les ministres étrangers, fit jouer un opéra italien : on ne s’apercevait pas que la ville était au pouvoir du vainqueur, et la prise de Dresde ne fut signalée que par les fêtes qu’il y donna.

Ce qu’il y eut de plus étrange, c’est qu’étant entré dans Dresde le 18, il y fit la paix le 25 avec l’Autriche et la Saxe, et laissa tout le fardeau au roi de France[2].

Marie-Thérèse renonça encore malgré elle à la Silésie par cette seconde paix, et Frédéric ne lui fit d’autre avantage que de reconnaître François Ier empereur. L’électeur palatin, comme partie contractante dans le traité, le reconnut de même ; et il

  1. Le roi de Prusse, dans son Histoire de mon temps, dit que la paix fut signée le 25 décembre 1745. La bataille de Kesseldorff, village près de Dresde, eut lieu nécessairement avant la paix, et le 15 décembre 1745. C’est donc par faute typographique que toutes les éditions données du vivant de l’auteur portent ici, et un peu plus bas, 1746. (B.)
  2. Frédéric ne recevait ni soldats ni subsides du gouvernement français ; il craignait en outre l’intervention russe en faveur de l’électeur de Saxe. (G. A.)