Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/310

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déguisement. Cette demoiselle et le prince, déguisé, se réfugièrent d’abord dans l’île de Skye, à l’occident de l’Ecosse.

Ils étaient dans la maison d’un gentilhomme, lorsque cette maison est tout à coup investie par les milices ennemies. Le prince ouvre lui-même la porte aux soldats. Il eut le bonheur de n’être pas reconnu ; mais bientôt après on sut dans l’île qu’il était dans ce château. Alors il fallut se séparer de Mlle de Macdonald, et s’abandonner seul à sa destinée. Il marcha dix milles suivi d’un simple batelier. Enfin, de la faim et prêt à succomber, il se hasarda d’entrer dans une maison dont il savait bien que le maître n’était pas de son parti. « Le fils de votre roi, lui dit-il, vient vous demander du pain et un habit. Je sais que vous êtes mon ennemi ; mais je vous crois assez de vertu pour ne pas abuser de ma confiance et de mon malheur. Prenez les misérables vêtements qui me couvrent, gardez-les ; vous pourrez me les apporter un jour dans le palais des rois de la Grande-Bretagne. » Le gentilhomme auquel il s’adressait fut touché comme il devait l’être. Il s’empressa de le secourir, autant que la pauvreté de ce pays peut le permettre, et lui garda le secret.

De cette île il regagna encore l’Écosse, et se rendit dans la tribu de Morar, qui lui était affectionnée ; il erra ensuite dans le Lochaber, dans le Badenoch. Ce fut là qu’il apprit qu’on avait arrêté Mlle de Macdonald, sa bienfaitrice, et presque tous ceux qui l’avaient reçu. Il vit la liste de tous ses partisans condamnés par contumace. C’est ce qu’on appelle en Angleterre un acte d’attainder. Il était toujours en danger lui-même, et les seules nouvelles qui lui venaient étaient celles de la prison de ses serviteurs dont on préparait la mort.

Le bruit se répandit alors en France que ce prince était au pouvoir de ses ennemis. Ses agents de Versailles, effrayés, supplièrent le roi de permettre qu’au moins on fît écrire en sa faveur. Il y avait en France plusieurs prisonniers de guerre anglais, et les partisans du prétendant s’imaginèrent que cette considération pourrait retenir la vengeance de la cour d’Angleterre, et prévenir l’effusion du sang qu’on s’attendait à voir verser sur les échafauds. Le marquis d’Argenson, alors ministre des affaires étrangères et frère du secrétaire de la guerre, s’adressa à l’ambassadeur des Provinces-Unies, M. Van Hoey, comme à un médiateur. Ces deux ministres se ressemblaient en un point qui les rendait différents de presque tous les hommes d’État : c’est qu’ils mettaient toujours de la franchise et de l’humanité où les autres n’emploient guère que la politique.