Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/349

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gates que les Anglais ne croyaient pas être sitôt prêtes : tout le fut à point nommé, et rien ne l’était du côté des Anglais. Ils tentèrent au moins, mais trop tard, d’attaquer au mois de juin la flotte française commandée par le marquis de La Gallissonnière[1]. Cette bataille ne leur eût pas conservé l’île de Minorque, mais elle pouvait sauver leur gloire. L’entreprise fut infructueuse, le marquis de La Gallissonnière mit leur flotte en désordre, et la repoussa. Le ministère anglais vit quelque temps avec douleur qu’il avait forcé la France à établir une marine redoutable.

Il restait aux Anglais l’espérance de défendre la citadelle de Port-Mahon, qu’on regardait après Gibraltar comme la place de l’Europe la plus forte par sa situation, par la nature de son terrain, et par trente ans de soins qu’on avait mis à la fortifier : c’était partout un roc uni ; c’étaient des fossés profonds de vingt pieds, et en quelques endroits de trente, taillés dans ce roc ; c’étaient quatre-vingts mines sous des ouvrages devant lesquels il était impossible d’ouvrir la tranchée ; tout était impénétrable au canon, et la citadelle était entourée partout de ces fortifications extérieures taillées dans le roc vif.

Le maréchal de Richelieu tenta une entreprise plus hardie que n’avait été celle de Berg-op-Zoom : ce fut de donner à la fois un assaut à tous ces ouvrages qui défendaient le corps de la place. Il fut secondé dans cette entreprise audacieuse par le comte de Maillebois, qui, dans cette guerre, déploya toujours de grands talents, déjà exercés dans l’Italie.

On descendit dans les fossés[2] malgré le feu de l’artillerie anglaise ; on planta des échelles hautes de treize pieds : les officiers et les soldats, parvenus au dernier échelon, s’élançaient sur le roc en montant sur les épaules les uns des autres : c’est par cette audace difficile à comprendre qu’ils se rendirent maîtres de tous les ouvrages extérieurs. Les troupes s’y portèrent avec d’autant plus de courage, qu’elles avaient à faire à près de trois mille Anglais secondés de tout ce que la nature et l’art avaient fait pour les défendre.

Le lendemain, la place se rendit (28 juin). Les Anglais ne pouvaient comprendre comment les soldats français avaient escaladé ces fossés, dans lesquels il n’était guère possible à un homme de sang-froid de descendre. Cette action donna une grande gloire au

  1. Ce fut le 20 mai 1756 que Roland-Michel Barrin, marquis de La Gallissonnière, dispersa la flotte anglaise. Il mourut à Nemours le 26 octobre suivant.
  2. L’assaut eut lieu dans la nuit du 27 au 28 juin 1756.