Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/373

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dichéry[1]. Une escadre de seize vaisseaux anglais obligea l’escadre française, envoyée au secours de la colonie, de quitter la rade de Pondichéry après une bataille indécise, pour aller se radouber à l’île de France[2].

Il y avait dans la ville soixante mille habitants indiens et noirs, et cinq à six cents familles d’Europe, avec très-peu de vivres. Lally proposa d’abord de faire sortir les premiers, qui affamaient Pondichéry ; mais comment chasser soixante mille hommes ? Le conseil n’osa l’entreprendre. Ce général, ayant résolu de soutenir le siège jusqu’à l’extrémité et ayant publié un ban par lequel il était défendu sous peine de mort de parler de se rendre, fut forcé d’ordonner une recherche rigoureuse des provisions dans toutes les maisons de la ville. Elle fut faite sans ménagement jusque chez l’intendant, chez tout le conseil et les principaux officiers. Cette démarche acheva d’irriter tous les esprits déjà trop aliénés. On ne savait que trop avec quel mépris et quelle dureté il avait traité tout le conseil. Il avait dit publiquement dans une de ses expéditions : « Je ne veux pas attendre plus longtemps l’arrivée des munitions qu’on m’a promises. J’y attellerai, s’il le faut, le gouverneur Leyrit et tous les conseillers. » Ce gouverneur Leyrit montrait aux officiers une lettre adressée depuis longtemps à lui-même, dans laquelle étaient ces propres paroles : « J’irais plutôt commander les Cafres que de rester dans cette Sodome, qu’il n’est pas possible que le feu des Anglais ne détruise tôt ou tard au défaut de celui du ciel. »

Ainsi, par ses plaintes et ses emportements, Lally s’était fait autant d’ennemis qu’il y avait d’officiers et d’habitants dans Pondichéry. On lui rendait outrage pour outrage ; on affichait à sa porte des placards plus insultants encore que ses lettres et ses discours. Il en fut tellement ému que sa tête en parut quelque temps dérangée. La colère et l’inquiétude produisent souvent ce triste effet. Un fils du nabab Chandasaeb était alors réfugié dans Pondichéry auprès de sa mère. Un officier débarqué depuis peu avec la flotte française qui s’en était retournée, homme aussi impartial que véridique, rapporte que cet Indien, ayant vu souvent sur son lit le général français absolument nu, chantant la messe et les psaumes, demanda sérieusement à un officier fort

  1. Voltaire ne mentionne pas la plus grande faute de Lally, qui fut de rappeler du Dekkau son rival Bussy. (G. A.)
  2. L’auteur avait d’abord mis à l’île de Bourbon. C’est encore d’après Bourcet qu’il s’est corrigé. (B.)