Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/374

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connu si c’était l’usage en rance que le roi choisît un fou pour son grand vizir. L’officier, étonné, lui dit : « Pourquoi me faites-vous une question aussi étrange ? — C’est, répliqua l’Indien, parce que votre grand vizir nous a envoyé un fou pour rétablir les affaires de l’Inde. »

Déjà les Anglais bloquaient Pondichéry par terre et par mer. Le général n’avait plus d’autre ressource que de traiter avec les Marattes[1]. Ils lui promirent un secours de dix-huit mille hommes ; mais sentant qu’on n’avait point d’argent à leur donner, aucun Maratte ne parut. On fut obligé de se rendre (14 janvier 1761). Le conseil de Pondichéry somma le comte de Lally de capituler. Il assembla un conseil de guerre. Les officiers de ce conseil conclurent à se rendre prisonniers de guerre suivant les cartes établis ; mais le général Coole voulut avoir la ville à discrétion. Les Français avaient démoli Saint-David : les Anglais étaient en droit de faire un désert de Pondichéry. Le comte de Lally eut beau réclamer le cartel de vive voix et par écrit, on périssait de faim dans la ville (16 janvier) : elle fut livrée aux vainqueurs, qui bientôt après rasèrent les fortifications, les murailles, les magasins, tous les principaux logements.

Dans le temps même que les Anglais entraient dans la ville, les vaincus s’accablaient réciproquement de reproches et d’injures. Les habitants voulurent tuer leur général. Le commandant anglais fut obligé de lui donner une garde. On le transporta malade sur un palanquin. Il avait deux pistolets dans les mains, et il en menaçait les séditieux. Ces furieux, respectant la garde anglaise, coururent à un commissaire des guerres, intendant de l’armée, ancien officier, chevalier de Saint-Louis[2]. Il met l’épée à la main : un des plus échauffés s’avance à lui, en est blessé, et le tue.

Tel fut le sort déplorable de Pondichéry, dont les habitants se firent plus de mal qu’ils n’en reçurent des vainqueurs. On transporta le général et plus de deux mille prisonniers en Angleterre. Dans ce long et pénible voyage, ils s’accusaient encore les uns les autres de leurs communs malheurs.

À peine arrivés à Londres, ils écrivirent contre Lally et contre le très-petit nombre de ceux qui lui avaient été attachés. Lally et les siens écrivaient contre le conseil, les officiers, et les habitants.

  1. C’était revenir enfin au système de Dupleix. (G. A.) — Les premières éditions portaient : « avec les Marattes, qui l’avaient battu. » Les derniers mots ont été supprimés d’après les observations de Bourcet. (B.)
  2. Il s’appelait Dubois. — Voyez l’article xvii des Fragments historiques sur l’Inde.