Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/380

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ont pris Belle-Isle, à la vue des côtes de la France, qui ne pouvait la secourir.

Le seul duc d’Aiguillon vengea les côtes de France de tant d’affronts et de tant de pertes. Une flotte anglaise avait fait encore une descente à Saint-Cast, près de Saint-Malo ; tout le pays était exposé. Le duc d’Aiguillon, qui commandait dans le pays, marche sur-le-champ à la tête de la noblesse bretonne, de quelquees bataillons et des milices qu’il rencontre en chemin (1er septembre 1758). Il force les Anglais de se rembarquer[1] ; une partie de leur arrière-garde est tuée, l’autre faite prisonnière de guerre ; mais les Français ont été malheureux partout ailleurs. Au reste, quel a été le prix de ce service du duc d’Aiguillon, et de son sang versé en Italie ? une persécution publique et acharnée, presque semblable à celle de Lally, qui prouve que ceux-là seuls ont raison qui se dérobent à la cour et au public[2].

Jamais les Anglais n’ont eu tant de supériorité sur mer ; mais ils en eurent sur les Français dans tous les temps. Ils avaient détruit la marine de la France dans la guerre de 1741 ; ils avaient anéanti celle de Louis XIV dans la guerre de la succession d’Espagne ; ils étaient les maîtres des mers du temps de Louis XIII, de Henri IV, et encore plus dans les temps infortunés de la Ligue. Le roi d’Angleterre Henri VIII eut le même avantage sur François Ier.

Si vous remontez aux temps antérieurs, vous trouverez que les flottes de Charles VI et de Philippe de Valois ne tiennent pas contre celles des rois d’Angleterre Henri V et Édouard III.

Quelle est la raison de cette supériorité continuelle ? n’est-ce pas que les Anglais ont un besoin essentiel de la mer, dont les Français peuvent à toute force se passer, et que les nations réussissent toujours, comme on l’a déjà dit[3], dans les choses qui leur sont absolument nécessaires ? N’est-ce pas aussi parce que la capitale d’Angleterre est un port de mer, et que Paris ne connaît que les bateaux de la Seine ? Serait-ce enfin que le climat et le sol anglais produisent des hommes d’un corps plus vigoureux et d’un

  1. La flotte anglaise, après s’être montrée le 3 septembre à une lieue au nord de Saint-Malo, et y avoir mouillé, mit à terre à Saint-Briac, le 4, un corps de douze à treize mille hommes. La bataille de Saint-Cast est du 11 septembre. (B.)
  2. Voltaire fait la part trop belle à ce neveu du duc de Richelieu, qu’il donne comme un martyr. Ce personnage montra, au contraire, une grande hésitation dans l’affaire de Bretagne. Ce fut un officier, d’Aubigny, qui attaqua sans ordre, et tout le monde suivit. (G. A.)
  3. Dans le Panégyrique de Louis XV.