Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/384

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perdit, et probablement pour jamais, tout le Canada avec ce Louisbourg qui avait coûté tant d’argent et de soins pour être si souvent la proie des Anglais. Toutes les terres sur la gauche du grand fleuve Mississipi leur furent cédées. L’Espagne, pour arrondir leurs conquêtes, leur donna encore la Floride. Ainsi, du vingt-cinquième degré jusque sous le pôle, presque tout leur appartint. Ils partagèrent l’hémisphère américain avec les Espagnols. Ceux-ci ont les terres qui produisent les richesses de convention, ceux-là ont les richesses réelles, qui s’achètent avec l’or et l’argent, toutes les denrées nécessaires, tout ce qui sert aux manufactures. Les côtes anglaises, dans l’espace de six cents lieues, sont traversées par des fleuves navigables qui leur portent leurs marchandises jusqu’à quarante et cinquante lieues dans leurs terres. Les peuples d’Allemagne se sont empressés d’aller peupler ces pays, où ils trouvent une liberté dont ils ne jouissaient point dans leur patrie. Ils sont devenus Anglais, et si toutes ces colonies demeuraient unies à leur métropole, il n’est pas douteux que cet établissement ne fasse un jour la plus formidable puissance[1]. La guerre avait commencé pour deux ou trois chétives habitations, et ils y ont gagné deux mille lieues de terrain.

Les petites îles de Saint-Vincent, les Grenades, Tabago, la Dominique, leur furent encore acquises ; et c’est par le moyen de ces îles, ainsi que par la Jamaïque, qu’ils font un commerce immense avec les Espagnols, commerce sévèrement prohibé, et toujours exercé parce qu’il est favorable aux deux nations et que la loi de la nécessité est toujours la première[2].

La France ne put obtenir qu’avec beaucoup de difficulté le droit de pêche vers Terre-Neuve, et une petite île inculte nommée Miquelon pour y faire sécher la morue, sans pouvoir y faire le moindre établissement : triste droit, sujet à de fréquentes avanies.

La France, à laquelle on rendit Pondichéry et quelques comptoirs, fut exclue dans l’Inde de ses établissements sur le Gange ; elle céda ses possessions sur le Sénégal en Afrique, mais on lui remit Gorée. On fut encore obligé de démolir toutes les fortifications de Dunkerque du côté de la mer.

L’État perdit, dans le cours de cette funeste guerre, la plus

  1. Le ministère anglais, en 1768, ne crut pas plus à cette prophétie qu’à celles de Franklin. Boston s’affranchit du joug en 1774 ; et, en 1777, La Fayette se réunit à Washington, près d’un an avant la mort de Voltaire. (Cl.)
  2. Voyez, page 370, le texte et la note 3.