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CHAPITRE XXXVII.

ATTENTAT CONTRE LA PERSONNE DU ROI[1].


(1757) Ces émotions du peuple furent bientôt ensevelies dans une consternation générale par l’accident le plus imprévu et le plus effroyable. Le roi fut assassiné, le 5 janvier, dans la cour de Versailles, en présence de son fils, au milieu de ses gardes et des grands officiers de sa couronne. Voici comment cet étrange événement arriva.

Un misérable de la lie du peuple, nommé Robert-François Damiens, né[2] dans un village auprès d’Arras, avait été longtemps domestique à Paris dans plusieurs maisons : c’était un homme dont l’humeur sombre et ardente avait toujours ressemblé à la démence.

Les murmures généraux qu’il avait entendus dans les places publiques, dans la grand’salle du palais, et ailleurs, allumèrent son imagination. Il alla à Versailles, comme un homme égaré ; et, dans les agitations que lui donnait son dessein inconcevable, il demanda à se faire saigner dans son auberge. Le physique a une si grande influence sur les idées des hommes[3] qu’il protesta depuis, dans ses interrogatoires, que « s’il avait été saigné comme il le demandait il n’aurait pas commis son crime ».

Son dessein était le plus inouï qui fût jamais tombé dans la tête d’un monstre de cette espèce ; il ne prétendait pas tuer le roi, comme en effet il le soutint depuis, et comme malheureusement il l’aurait pu ; mais il voulait le blesser : c’est ce qu’il déclara dans son procès criminel devant le parlement.

« Je n’ai point eu intention de tuer le roi ; je l’aurais tué si j’avais voulu, je ne l’ai fait que pour que Dieu pût toucher le roi, et le porter à remettre toutes choses en place, et la tranquillité dans ses États ; et il n’y a que l’archevêque de Paris seul qui est cause de tous ces troubles. » (Interrogatoire du 18 janvier, art. 144, page 132, du procès de Damiens, in-4o.)

  1. Tout ce chapitre est fait contre les parlementaires. Voltaire présente Damiens comme ayant été fanatisé par le jansénisme de Messieurs. « Dans toute l’histoire de Damiens, écrivait-il pour se justifier, je me borne à citer les interrogatoires. »
  2. En 1715.
  3. Le physique gouverne toujours le moral, a dit Voltaire dans l’article Femme de ses Questions sur l’Encyclopédie. (B.)