Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/400

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Cette idée avait tellement échauffé sa tête que, dans un autre interrogatoire, il dit :

« J’ai nommé des conseillers au parlement, parce que j’en ai servi un, et parce que presque tous sont furieux de la conduite de M. l’archevêque. » (Interrogatoire du 6 mars, p. 289.) En un mot, le fanatisme avait troublé l’esprit de ce malheureux au point que, dans les interrogatoires qu’il subit à Versailles, on trouve ces propres paroles :

« Interrogé quels motifs l’avaient porté à attenter à la personne du roi, a dit que c’est à cause de la religion. » (Page 45.)

Tous les assassinats des princes chrétiens ont eu cette cause. Le roi de Portugal n’avait été assassiné qu’en vertu de la décision de trois jésuites[1]. On sait assez que les rois de France Henri III et Henri IV ne périrent que par des mains fanatiques ; mais il y avait cette différence que Henri III et Henri IV furent tués parce qu’ils paraissaient ennemis du pape, et que Louis XV fut assassiné parce qu’il semblait vouloir complaire au pape.

L’assassin s’était muni d’un couteau à ressort, qui d’un côté portait une longue lame pointue, et de l’autre un canif à tailler les plumes, d’environ quatre pouces de longueur. Il attendait le moment où le roi devait monter en carrosse pour aller à Trianon. Il était près de six heures ; le jour ne luisait plus ; le froid était excessif ; presque tous les courtisans portaient de ces manteaux qu’on nomme par corruption redingotes. L’assassin, ainsi vêtu, pénètre vers la garde, heurte en passant le dauphin, se fait place à travers la garniture des gardes du corps et des cent-suisses, aborde le roi, le frappe de son canif à la cinquième côte, remet son couteau dans sa poche, et reste le chapeau sur la tête. Le roi se sent blessé, se retourne, et à l’aspect de cet inconnu qui était couvert et dont les yeux étaient égarés, il dit : « C’est cet homme qui m’a frappé ; qu’on l’arrête, et qu’on ne lui fasse pas de mal[2]. »

Tandis que tout le monde était saisi d’effroi et d’horreur, qu’on portait le roi dans son lit, qu’on cherchait les chirurgiens, qu’on ignorait si la blessure était mortelle, si le couteau était empoisonné, le parricide répéta plusieurs fois : « Qu’on prenne garde à monseigneur le dauphin, qu’il ne sorte pas de la journée. »

À ces paroles l’alarme universelle redouble : on ne doute pas

  1. Voyez chapitre xxxviii.
  2. Voyez Histoire du Parlement, chapitre, lxvii, comme on suivit les intentions du roi.