Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/415

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

importance il est de diminuer cette prodigieuse multitude de moines qui sont, dans toutes les sociétés catholiques, les soldats du pape payés aux dépens des peuples. La sage république de Venise se signala surtout par des lois qui mettent un frein à la multitude des moines et à leur rapacité.

Voilà ce que le pape Rezzonico attira à la cour de Rome pour avoir écouté de mauvais conseils, et pour n’avoir pas fait réflexion que nous sommes au xviiie siècle. Ce pape, plus vertueux qu’éclairé, mourut bientôt après : on attribua sa mort au chagrin, quoique rarement ce soit la maladie des vieillards.

Le ministre qu’on appelle en France des affaires étrangères, et qu’on nommait sous Louis XIV ministre des étrangers, secondé du cardinal de Bernis, eut le crédit à Rome de faire nommer un pape dont on espéra plus de circonspection. Le cardinal de Bernis joignait à l’habileté dont les Italiens se piquent une érudition littéraire, un goût et un génie dont le sacré-collége ne se pique plus guère, et qu’on n’avait retrouvé que dans le feu cardinal Passionei. Ce fut lui qui fit le pape Clément XIV, et qui forma son conseil.

Ce pape[1], qui avait été franciscain, s’appelait Ganganelli, comme nous l’avons déjà dit[2] ; il était réputé très-sage et très-circonspect, au-dessus des préjugés monastiques, et capable de soutenir par sa sagesse le colosse du pontificat, qui semblait menacé de sa chute. C’est lui qui a enfin aboli la Société de Jésus par sa bulle de l’année 1773. Il acheva par là de convaincre toutes les nations qu’il est aussi aisé de détruire les moines que de les instituer ; et il fit espérer qu’on pourrait un jour diminuer dans l’Europe cette foule d’hommes inutiles aux autres et à eux-mêmes, qui font vœu de vivre aux dépens de ceux qui travaillent, et qui, ayant été autrefois très-dangereux, ne passent aujourd’hui que pour ridicules dans l’esprit de la plupart des pères de famille.

Lorsque le pape Ganganelli eut cassé la Société de Jésus, et qu’il eut promis de ne plus fulminer chaque année la bulle In cœna Domini, on lui rendit Avignon et Bénévent avec Ponte-Corvo. Sa prudence guérit le mal que son prédécesseur avait fait à Rome.

  1. Dans l’édition in-4o le chapitre se terminait ainsi : « Ce pape, qui avait été franciscain, était réputé un homme sage, au-dessus des préjugés monastiques, et capable de soutenir par sa sagesse le colosse du pontificat, qui semblait menacé de sa chute. »

    Le texte actuel est dans l’édition de 1775. (B.)

  2. Page 400.