Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/421

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sept cents assassinats commis en deux ans dans leur île : ce qui n’était pas une apologie de leur parti. Cette requête était d’ailleurs recommandable par une éloquence agreste qui l’emporte sur l’art oratoire, et par des sentiments de liberté si peu connus dans les cours : « Si vos ordres souverains, disaient-ils, nous obligent de nous soumettre à Gênes, allons, buvons à la santé du roi très-chrétien ce calice amer, et mourons. »

On dressa à Versailles, au nom de l’empereur et du roi, un plan qui fut signé du ministre du roi et du prince de Lichtenstein, ambassadeur de l’empereur. Les conventions en paraissaient équitables. On abolissait surtout ce droit que les commissaires de la république génoise s’étaient arrogé de condamner à la potence ou aux galères sur le simple témoignage de leur conscience ; mais on désarmait, par un article, tous les habitants de la Corse. Ils ne voulurent point du tout être désarmés, et résolurent de mourir plutôt que de boire à la santé du roi très-chrétien.

Le roi Théodore leur promettait toujours, de sa prison d’Amsterdam, qu’il viendrait les délivrer bientôt du joug de Gênes et de l’arbitrage de la France. En effet il trouva le secret de tromper des Juifs et des négociants étrangers établis dans Amsterdam, comme il avait trompé Tunis et la Corse ; il les engagea non-seulement à payer ses dettes, mais à charger un vaisseau d’armes, de poudre, de munitions de guerre et de bouche, avec beaucoup de marchandises, leur persuadant qu’ils feraient seuls tout le commerce de la Corse, et leur faisant envisager des profits immenses. L’intérêt leur ôtait la raison, mais Théodore n’était pas moins fou qu’eux : il s’imaginait qu’en débarquant en Corse des armes, et paraissant avec quelque argent, toute l’île se rangerait incontinent sous ses drapeaux, malgré les Français et les Génois. Il ne put aborder : il se sauva à Livourne, et ses créanciers de Hollande furent ruinés.

Il se réfugia bientôt en Angleterre ; il fut mis en prison pour ses dettes à Londres, comme il l’avait été à Amsterdam. Il y resta jusqu’au commencement de l’année 1756. M. Walpole eut la générosité de faire pour lui une souscription moyennant laquelle il apaisa les créanciers, et délivra de prison ce prétendu monarque, qui mourut très-misérable le 2 décembre de la même année. On grava sur son tombeau que « la fortune lui avait donné un royaume et refusé du pain ».

Dans le temps que ce Théodore avait fait sa seconde tentative pour régner sur les Corses, et qu’il avait essayé en vain d’aborder dans l’île, les insulaires firent bien voir qu’ils n’avaient pas besoin de lui pour se défendre. Ils avaient promis à Boissieux de lui