Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/445

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les genres, non pas en employant des termes nouveaux, inutiles, mais en se servant avec art de tous les mots nécessaires qui étaient en usage. Il est à craindre aujourd’hui que cette belle langue ne dégénère par cette malheureuse facilité d’écrire que le siècle passé a donnée aux siècles suivants : car les modèles produisent une foule d’imitateurs, et ces imitateurs cherchent toujours à mettre en paroles ce qui leur manque en génie. Ils défigurent le langage, ne pouvant l’embellir. La France surtout s’était distinguée, dans le beau siècle de Louis XIV, par la perfection singulière à laquelle Racine éleva le théâtre, et par le charme de la parole, qu’il porta à un degré d’élégance et de pureté inconnu jusqu’à lui. Cependant on applaudit après lui à des pièces écrites aussi barbarement[1] que ridiculement construites.

C’est contre cette décadence que l’Académie française lutte continuellement ; elle préserve le bon goût d’une ruine totale, en n’accordant du moins des prix qu’à ce qui est écrit avec quelque pureté, et en réprouvant tout ce qui pèche par le style. Il est vrai que les beaux-arts, qui donnèrent tant de supériorité à la France sur les autres nations, sont bien dégénérés ; et la France serait aujourd’hui sans gloire dans ce genre, sans un petit nombre d’ouvrages de génie, tels que le poème des quatre Saisons[2], et le quinzième chapitre de Bélisaire[3], s’il est permis de mettre la prose à côté de la plus élégante poésie. Mais enfin la littérature, quoique souvent corrompue, occupe presque toute la jeunesse bien élevée : elle se répand dans les conditions qui l’ignoraient. C’est à elle qu’on doit l’éloignement des débauches grossières, et la conservation d’un reste de la politesse introduite dans la nation par Louis XIV et par sa mère. Cette littérature, utile dans toutes les conditions de la vie, console même des calamités publiques en arrêtant sur des objets agréables l’esprit, qui serait trop accablé de la contemplation des misères humaines.


FIN DU PRÉCIS DU SIÈCLE DE LOUIS XV.
  1. Crébillon, dont Voltaire a dit :
    On préfère à mes vers Crébillon le barbare.

    Voyez, tome X, page 428, l’Épître à d’Alembert.

  2. Par Saint-Lambert.
  3. Par Marmontel.